Une vocation née dans un contexte de guerre et de pauvreté marqué par une laïcisation grandissante
Né au sein d’une famille chrétienne modeste, d’un père tanneur corroyeur de profession, Paulin Enfert grandit à Paris dans le XIIIe arrondissement, un quartier des plus pauvres de cette époque. Lorsqu’éclate la guerre de 1870, il s’engage dans l’armée, à peine âgé de 17 ans. La vue des nombreux cadavres jonchés sur les pavés, et particulièrement ceux de cinq religieux, va contribuer pour beaucoup à forger sa vocation de « bon Samaritain ». C’est ainsi qu’il rejoint la section locale de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. En 1880, la suppression du catéchisme dans les écoles laïques communales, vingt-cinq ans avant la loi de la séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905, apparaît comme un grave vecteur de déchristianisation pour les couches les plus pauvres de la société. En marge de sa vie professionnelle à la Compagnie d’assurances générales, Paulin Enfert s’engage alors dans la catéchèse des jeunes de sa paroisse Sainte-Anne de la Maison Blanche pour les préparer à la première communion.
Mais comment les aider à persévérer dans la pratique de la foi chrétienne dans un environnement social laïc farouchement anticlérical ?
Naissance du patronage Saint-Joseph avec comme but affiché : la persévérance religieuse
Né de l’initiative de Paulin Enfert, le patronage commence à regrouper ses premiers enfants en 1887. D’abord équipé d’une roulotte sur un terrain vague de la rue de Tolbiac loué avec son salaire, Paulin Enfert commence à enseigner le catéchisme à une trentaine d’enfants en guenilles venus des maisons voisines. L’inauguration du premier local rue Bobillot aura lieu en juin 1888 grâce à la bonne Soeur Liaud, supérieure des Filles de la Charité de la rue Vandrezanne.
Le patronage Saint-Joseph ouvre ses portes sans distinction à tous les jeunes du quartier de la Maison Blanche, ce qui rend son succès rapide. En contrepartie, il exige une discipline et une assiduité dans la participation à la messe dominicale et aux séances d’instruction religieuse ainsi qu’aux divers jeux et activités proposées.
En 1890, ce sont 700 jeunes âgés de 9 à 18 ans qui sont inscrits sur les registres du patronage Saint-Joseph. En tant que directeur et tel un père de famille, Paulin Enfert pourvoit à leur éducation physique, religieuse et morale, animé par la devise : « Crois, travaille, espère ». Les enfants anonymes pauvrement vêtus sont valorisés dans des costumes pour des activités de théâtre, chants, musique… Saltimbanque dans l’âme, Paulin Enfert se révèle tour à tour conteur, poète, magicien, metteur en scène… Des artistes célèbres de l’époque comme Sarah Bernhardt collaboreront avec le patronage. A leur majorité, certains jeunes seront envoyés en apprentissage chez des artisans ou industriels partenaires du patronage.
Faire bien et laisser dire PAULIN ENFERT
La création de la Mie de Pain : une soupe populaire servie par les jeunes défavorisés du quartier
C’est un soir de décembre 1891, au cours d’une réunion avec les enfants du patronage Saint- Joseph, que l’idée fuse : « Mais puisque tant de gens ont en ce moment des mies de pain à mettre sur le bord d’une fenêtre (pour les oiseaux), pourquoi n’irions-nous pas leur en demander pour en donner aux pauvres qui n’en ont pas ? » Cette inspiration soudaine de l’un des jeunes frappe Paulin Enfert par sa simplicité et sa justesse. « L’oeuvre de la Mie de Pain » est née avec comme credo l’accueil inconditionnel, anonyme et gratuit. « S’il nous arrive par moments de plier sous la charge, ce ne sont que des faiblesses passagères et le courage nous revient car c’est l’oeuvre du Bon Dieu que nous essayons de faire et le Bon Dieu n’abandonne ni ses oeuvres ni ceux qui les font », affirme-t-il.
Chaque soir, de Noël à fin février, Paulin Enfert ouvrira les portes aux pauvres avec grand respect, délicatesse et humilité, commençant le repas par une prière. Le nombre moyen de gamelles servies passera de 20 à 200 au début, puis de 200 à 600. La Mie de Pain deviendra une véritable institution de la charité parisienne. Reconnue d’utilité publique en 1984, et récompensée de la Médaille Internationale Humanitaire en 1991, elle reste aujourd’hui la plus importante structure d’hébergement d’urgence en France.
En 2022, l’Eglise a fêté le centenaire de l’anniversaire de la mort de Paulin Enfert, une figure chrétienne féconde en initiatives charitables de toutes sortes, sur les traces de Saint Vincent-de-Paul et de Saint Jean Bosco.