Mgr Denis Jachiet : être prêtre c’est surtout un service

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Avant son départ pour le diocèse de Belfort-Montbéliard, Mgr Denis Jachiet revient sur son ministère à Paris, au service notamment de l’Œuvre des vocations. Il rappelle les intuitions du cardinal Lustiger sur l’importance de la spiritualité des prêtres, et nous parle des vocations qui ont été au cœur de sa mission durant vingt-cinq ans.

Denis Jachiet, né le 21 avril 1962 à Paris, est un prélat catholique français, évêque auxiliaire de Paris du 25 juin 2016 au 2 octobre 2021. Il est nommé évêque de Belfort-Montbéliard, par le pape François, le 2 octobre 2021 et sera installé le 14 novembre 2021 en la cathédrale de Belfort.

Le souci des vocations a été une part importante de votre ministère. Que retenez-vous de cette mission ?

Mgr Denis Jachiet : En effet, pendant quatorze ans j’ai été formateur au séminaire de Paris comme responsable de maison et père spirituel. Durant cette période, j’ai enseigné la théologie. J’ai été par ailleurs, durant huit ans, responsable du Service des Vocations sacerdotales et religieuses du diocèse et rédacteur en chef à votre place ! J’ai été marqué de recevoir au service des vocations une dizaine d’anciens de Saint Jean de Passy que j’avais rencontrés alors que j’étais aumônier. Sur cette dizaine, cinq sont prêtres à Paris aujourd’hui !

Quelle fut l’évolution de la revue Vocations ?

Mgr Denis Jachiet : Cette revue, qui à l’origine était destinée à soutenir les vocations, a toujours eu du mal à être diffusée auprès des jeunes. Nous pouvions la leur remettre lors du Frat ou lors de rencontres avec les étudiants. L’objectif était alors de pouvoir aider les jeunes dans leur discernement. Puis les donateurs et nos abonnés ont eu une part dans la diffusion. J’écrivais alors les éditoriaux aux donateurs pour leur dire : « Soyez nos ambassadeurs par vos dons, vos prières, mais aussi en laissant traîner la revue à la maison ou en la mettant à disposition de tel ou tel jeune de vos familles ». Il fallait pourtant faire évoluer ces contenus. Ce fut fait en 2005, lors de la création de ce site internet qui, lui, était adressé principalement aux jeunes. La production d’articles permettrait alors d’alimenter le site. Depuis, le magazine est principalement lu par les donateurs ; ce site est destiné aux jeunes et aux donateurs qui se nourrissent de contenus explicatifs et spirituels sur la vocation.

Vous avez été ordonné par le cardinal Lustiger. Quelle empreinte en gardez-vous ?

Mgr Denis Jachiet : La figure du cardinal Lustiger m’a vraiment marqué. Il avait une très haute idée de ce que pouvait être le sacerdoce ordonné, sans pour autant tomber dans le cléricalisme. Il luttait de toutes ses forces contre une caste de clercs reproduisant des habitudes de clan, et pourtant il ne cessait de nous tourner vers la grandeur de cet appel et la puissance de notre configuration au Christ. L’équilibre qu’il tenait m’a souvent éclairé.
Il rapportait tout à la relation au Christ. Au cours de notre formation, nous pouvions être attirés par le courant spirituel de tel ou tel père. Or jamais il ne nous a poussés à embrasser une spiritualité particulière, toujours il nous a tournés vers le Christ. C’est encore valable pour moi aujourd’hui. De même, dans le suivi des prêtres, il portait une attention soutenue à la relation de chacun au Seigneur.

En 2020, l’Œuvre des vocations a réalisé un film. Pouvez-vous nous parler de cette initiative ?

Mgr Denis Jachiet : L’Œuvre des Vocations est au service du financement de la formation des futurs prêtres. Elle a aussi dans son objet le soutien à la pastorale des vocations. À ce titre nous aidons les services des vocations des diocèses d’Île-de-France à disposer des outils dont ils ont besoin. Dans les années 2000, ce fut le développement d’Activot, un outil numérique ludique pour aborder le thème des vocations avec les jeunes. Ensuite nous avons réalisé plusieurs clips sur les vocations. Puis, à la demande des services des vocations, nous avons réalisé une mini-série destinée aux jeunes en discernement de leur vocation sacerdotale. C’est un outil terminé depuis longtemps mais sa promotion a pris du retard en raison de la pandémie. C’est désormais aux aumôneries de s’en saisir comme d’un véritable dispositif d’échange. Ni les services des vocations, ni l’Œuvre des Vocations n’ont, à un quelconque moment, l’intention de faire du racolage ou de l’enrôlement.

Je suis triste de voir que certains, comme on le ferait pour l’armée par exemple, y succombent en faisant une communication basée sur la séduction. Je ne pense pas que cela aide à discerner sa vocation. Nous avons à promouvoir des outils qui aident principalement les jeunes à se poser la question de la vocation et à la discerner. En passant par le raccourci de la séduction, on ne les aide pas à se poser les bonnes questions et on évite le discernement spirituel.

Comment aider un jeune à discerner sa vocation ?

Mgr Denis Jachiet : Les jeunes s’attachent souvent à leur intuition première. Elle n’est pas mauvaise en soi, mais elle ne suffit pas. Le Seigneur s’en sert, mais à la manière d’un tremplin. Le tremplin ne fait pas le saut en hauteur, il aide seulement à se mobiliser pour franchir tel obstacle.
Le Seigneur se sert de ces intuitions qui passent dans nos cœurs, nos regards et nos sensibilités. Il faut les écouter, mais en rester là c’est manquer l’étape du discernement et se préparer à de grosses difficultés pour la suite. Il est indispensable d’être présent auprès des jeunes, c’est-à-dire de se mettre à la disposition de leur liberté et non de les séduire pour capter leur liberté. Ce serait une déviation grave.

Que diriez-vous à un jeune qui s’interroge au sujet de sa vocation ?

Mgr Denis Jachiet : Les jeunes sont inquiets par rapport à eux-mêmes. Dans les années 2000, leur liberté avait du mal à se déterminer. Aujourd’hui il y a une peur grandissante, une peur de soi et de ce qui peut advenir. La première chose face à la peur est d’écouter la parole de Jésus : « N’ayez pas peur, c’est moi ». Pas dans le sens où vous n’avez pas à vous poser de questions, mais pour entendre que vous n’êtes pas seuls. C’est le Christ qui appelle et qui donnera la force de répondre avec confiance. Ce n’est pas l’analyse de votre psychologie intime qui vous donnera la certitude que vous serez à l’abri de telle ou telle tentation. Mais le Christ vous demande d’oser la vérité. Il ne demandera jamais à quelqu’un de fermer les yeux sur sa propre faiblesse, mais au contraire de les ouvrir pour recevoir la force d’en haut.

Que pouvez-vous nous dire sur le rapport Sauvé ? Quels peuvent être les effets sur les vocations et la formation des séminaristes ?

Mgr Denis Jachiet : Je pense que la question de la pédocriminalité doit être abordée dans la formation, mais elle ne doit pas être l’objet d’une obsession ; cela ne rendra service à personne. Elle doit s’inscrire dans un travail plus large de connaissance de soi et de confrontation avec les exigences du célibat. Dans ce long travail, la question de la pédocriminalité a sa place, mais elle n’est pas au centre. Les jeunes n’ignorent pas que cela existe. L’important est qu’ils aient les bons interlocuteurs au bon moment, que ce soit au niveau spirituel, ecclésial ou psychologique…
Il faudra sûrement renforcer le parcours de connaissance psychologique sur la sexualité en général : pas seulement sur la question du célibat du prêtre, mais aussi celle des couples, des jeunes et celle des séminaristes.

En entrant au séminaire en 1989, vous n’aviez sûrement aucune idée du ministère qui fut le vôtre depuis vingt-cinq ans. Comment votre parcours éclaire-t-il votre vocation ?

Mgr Denis Jachiet : Je crois vraiment que l’appel à être prêtre n’est pas un appel à une profession. On disait parfois, dans ma jeunesse : « Ah ! C’est un beau métier d’être prêtre ! » Non, ce n’est pas un métier. Ou du moins, si l’on aborde cet aspect, ce serait une centaine de métiers à la fois ! Être prêtre est d’abord un état, c’est surtout un service.
C’est un état de vie dans lequel on renonce à beaucoup de choses, à fonder une famille, des œuvres, des entreprises etc. Un état pour devenir serviteur. Il y a d’autres formes de service dans l’Église ; celui de prêtre passe par les sacrements, l’évangélisation et la vie de l’Église.
On peut rappeler ici les trois charges du prêtre qui sont l’annonce de la Parole de Dieu, la célébration
des sacrements et la conduite de la vie de charité dans l’Église.

Demain, vous partez pour le diocèse de Belfort-Montbéliard. Quelle est votre disposition ?

Mgr Denis Jachiet : Quand je relis mon histoire, je n’ai cessé d’être surpris par les appels reçus. À travers eux, je vois une continuité. Aujourd’hui un prêtre diocésain peut entendre un appel du Seigneur à quitter son diocèse et ainsi à sortir de sa zone de confort. Accepter de devenir prêtre comporte cette disponibilité apostolique à « sortir». Si Pierre avait su, quand Jésus l’a appelé au bord du lac, qu’il allait évangéliser Rome, il aurait peut-être fait demi-tour directement. Le Christ savait bien qu’il fallait lui donner des étapes avant qu’il aille accomplir cette mission. C’est pareil pour nous. Nous n’avons pas besoin de tout savoir dès le départ. Il faut le dire aux futurs prêtres. Autrefois on pouvait imaginer passer toute sa vie de prêtre dans sa ville en exerçant presque dans le même quartier. Aujourd’hui c’est inenvisageable. Un prêtre est incardiné dans un diocèse : ce lien demeure une source de force et de ressourcement spirituel, mais exercer pour un temps son ministère dans un autre diocèse n’est pas exclu.

Comment voyez-vous l’Église aujourd’hui ?

Mgr Denis Jachiet : L’Église n’est pas en train de disparaître, comme on peut le lire dans les journaux aujourd’hui, elle est en train de vivre un tournant. Les tournants sont des moments passionnants. Dans un tournant on est bousculé, mais on peut voir naître quelque chose de neuf. Quand saint Augustin voit Rome s’effondrer il est bouleversé par ce qu’il voit, mais il sait que l’Eglise chemine vers la cité éternelle, il sait que c’est un tournant. Il nous manque aujourd’hui des prophètes pour nous dire que nous vivons quelque chose d’important, un temps décisif !

Interview réalisée par le Père Geoffroy de Talhouët pour le magazine Vocations N°212

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