Le cardinal André Vingt-Trois a été directeur du Séminaire de Paris, délégué aux vocations et, à ce titre, rédacteur en chef du Magazine Vocations. À la veille de quitter ses fonctions d’archevêque de Paris, il nous a livré sa vision de la jeunesse, des conditions préalables à l’appel au sacerdoce, des obstacles à l’engagement ainsi que de la formation des séminaristes.
Le rôle du prêtre a évolué ; à quoi faut-il être attentif pour la formation des prêtres ?
Cardinal André Vingt-Trois : Pour développer une action utile dans le domaine de la formation des prêtres, il faut déjà avoir des candidats. Comment est-ce qu’on investit des forces dans les conditions préalables à l’appel au sacerdoce pour ce qui dépend de nous ? Dans une vocation il y a l’appel de Dieu, qu’on ne maîtrise pas, et puis la réponse humaine sur laquelle on peut avoir une action. Dans ce domaine il y a deux éléments importants : le développement de l’expérience d’une relation personnelle intime avec le Christ et l’expérience du service.
La vocation, comme il ressort de l’Écriture et de notre expérience, est le fruit d’un dialogue personnel avec le Christ. La première condition c’est donc, à travers la pastorale des aumôneries, des groupes de jeunes etc., de réunir les éléments constitutifs de cette expérience, de telle façon que la personne du Christ soit un interlocuteur habituel. C’est vrai de toute vocation, mais a fortiori de la vocation sacerdotale.
La deuxième condition, qui n’est pas non plus spécifique de la vocation sacerdotale, c’est l’expérience du service des autres. Comment le processus éducatif met-il en œuvre des circonstances où les jeunes apprennent à se mettre au service des autres, gratuitement, et à prendre des responsabilités personnelles ?
Comme climat général, la bienveillance de l’environnement familial est nécessaire et difficile à identifier. Toute la phase adolescente est repérée comme une phase d’opposition à la tradition familiale représentée par les parents. Ce qui est moins visible, c’est que cette phase d’opposition est concomitante avec un mouvement irrépressible d’imitation. Dans les comportements, les paroles, les attitudes extérieures, l’adolescent s’affirme par la rupture, mais l’identité personnelle qui se construit à travers cette rupture est plutôt une imitation des modèles parentaux.
« Dans une vocation, il y a la relation personnelle intime avec le Christ et l’expérience du service »
La formation des prêtres est longue – en général sept ans. Est-ce nécessaire ?
Cardinal André Vingt-Trois : Avant de répondre, je voudrais relever une tentation culturelle de notre société : penser que la formation résout les problèmes. Comme si on pouvait avoir les solutions avant d’affronter les difficultés !
Une formation longue n’est pas liée à une surcharge des programmes. Pour des hommes qui ont déjà atteint une certaine identité adulte, le passage vers la personnalité pastorale, l’identification au Christ pasteur, c’est une nouvelle naissance, une nouvelle construction de la personnalité. C’est du même ordre que la genèse et le développement d’un amour humain : la vie personnelle d’un garçon et d’une fille amoureux se reconstruit autour de cette situation nouvelle.
Pour le futur prêtre, il s’agit d’acquérir de nouveaux habitus et réflexes pour harmoniser sa liberté avec les nouvelles priorités intérieures. La vie communautaire permet d’aller chercher ses références et ses appuis ailleurs qu’auparavant.
Le célibat sacerdotal peut sembler un obstacle à l’engagement. Sa fécondité est elle actuelle ?
Cardinal André Vingt-Trois : Je ne suis pas sûr que le célibat sacerdotal soit réellement la pierre d’achoppement. Aujourd’hui je crois que la pierre d’achoppement c’est l’engagement définitif et les modalités de la pratique de la chasteté, que ce soit dans une vie sexuelle ou dans une vie célibataire.
Ce qui constitue le point sensible dans le célibat sacerdotal, c’est le lien étroit entre l’état de vie, le célibat chaste et la fonction. Dans notre société, on observe une triple dissociation entre la fonction et la vie personnelle et, dans la vie personnelle, entre l’amour, la relation affective et l’engagement définitif. Cette dissociation est résolue dans le célibat sacerdotal. Ce n’est pas simplement dire : je ne serai pas marié, je n’aurai pas d’enfants ; c’est entrer dans un état de vie différent de celui de beaucoup autour de nous.
Certains parents sont inquiets à l’idée de l’engagement de leur enfant dans la prêtrise.
Cardinal André Vingt-Trois : C’est normal que des parents s’inquiètent de l’avenir de leur enfant, comme prêtre ou autrement. Qu’ils aient un cheminement à faire pour assumer des deuils est évident : le deuil d’une carrière professionnelle, d’une famille, de petits-enfants. Ce n’est pas simple ! La dynamique de transformation de la personnalité, que j’ai évoquée pour la formation du prêtre, joue aussi sur ses parents et sa famille, qui doivent aussi vivre une transformation et entrer dans un autre registre de références.
Et puis, il y a eu une évolution culturelle profonde dans notre pays. Si je caricature, dans la deuxième moitié du XIXe et la première moitié du XXe siècle, la prêtrise était souvent une promotion sociale apportant notabilité et sécurité. Depuis la deuxième moitié du XXe, la prêtrise est plutôt une déchéance sociale. On suppose que celui qui devient prêtre aurait pu faire des choses plus importantes, qui rapportent davantage, et surtout donnent une situation sociale plus respectée.
« Il ne faudrait pas que [… ] nous croyions que d’autres peuvent appeler à notre place. »
L’Œuvre des Vocations couvre désormais toute l’Île-de-France. Est-ce que la dimension régionale est importante sur la question des vocations ?
Cardinal André Vingt-Trois : Il y a une interdépendance de fait ; les gens circulent, si bien qu’aucun diocèse de la région ne peut vivre sans des connections avec les autres. Cinquante ans après leur création, chacun des huit diocèses a son identité propre, concrétisée par le presbyterium autour de l’évêque. Il ne peut y avoir de coopération forte s’il n’y a pas d’identité forte. Notre responsabilité d’évêque est précisément de vivre cette tension permanente entre l’identité particulière de notre diocèse et notre responsabilité commune à l’égard de la région. L’Œuvre des Vocations, comme les Chantiers du Cardinal – construction et entretien des églises (NDLR) –, concernent l’avenir de l’Église en Île-de-France et demandent que tous se mobilisent pour agir ensemble.
Le célibat sacerdotal peut sembler un obstacle à l’engagement. Sa fécondité est elle actuelle ?
Cardinal André Vingt-Trois : En 1981, il n’y a eu que deux ordinations pour Paris. Depuis, on a connu un développement, ce qui signifie qu’il y a eu une croissance de la confiance dans la mission de l’Église et dans la capacité du diocèse à l’assumer. Les facteurs personnels jouent évidemment de manière très forte, mais il faut les interpréter dans des mouvements de plus longue durée où se concrétisent les caractéristiques institutionnelles. La politique mise en œuvre par le cardinal Lustiger à partir de 1984, avec la Maison Saint-Augustin et le développement du séminaire diocésain, est un élément de la capacité institutionnelle à se donner les moyens de son avenir. Elle n’a pas d’effets immédiats et identifiables dans chaque cas, mais donne un contexte institutionnel qui favorise les vocations particulières. Dans le climat d’inquiétude évoqué tout à l’heure, c’est plus facile de s’engager dans une institution qui a une force propre.
Qu’espérez-vous de la consultation des jeunes en vue du synode sur les jeunes, la foi et le discernement des vocations, convoqué par le pape François ?
Cardinal André Vingt-Trois : J’espère que ce qu’ils diront pourra faire réfléchir les évêques. Ce qui me frappe, c’est qu’il y a une sorte de fantasme sur la jeunesse. Le jeunisme est un produit de la société de consommation. Il s’oppose à la rencontre des personnes. Il me paraît très important d’être attentifs à repérer les véritables dynamismes, attentes et dispositions des jeunes. A la messe de rentrée des étudiants ou au FRAT, nous sommes en relation avec des jeunes réels. Nous devons discerner, dans ce que disent les jeunes, ce qui est transgressif par rapport à l’image d’une jeunesse de consommation.
Que diriez-vous de votre propre vocation ?
Cardinal André Vingt-Trois : Improbable et accompagnée. A partir de l’âge de 8 ou 9 ans, où je me suis vraiment posé la question, j’ai eu des interlocuteurs sérieux et des conseillers avisés émanant de personnalités très différentes : un curé parisien, un curé de campagne comme au XIXe siècle, des aumôniers de lycée du XXe, tout ça en même temps…
Le cardinal Vingt-Trois en quelques dates
> 7 novembre 1942 : naissance à Paris
> 1962 : entrée au séminaire Saint-Sulpice à Issy-les-Moulineaux
> 28 juin 1969 : ordination sacerdotale par le cardinal Marty
> 1974-1981 : directeur du séminaire Saint-Sulpice, professeur de théologie morale et sacramentelle
> 1981 : nommé vicaire général du diocèse de Paris par le cardinal Lustiger
> 1988-1999 : évêque auxiliaire de Paris
> 21 avril 1999 : nommé archevêque de Tours
> 11 février 2005 : nommé archevêque de Paris par le pape Jean-Paul II
> 24 novembre 2007 : créé cardinal par le pape Benoît XVI. Il participe ainsi au conclave de 2013 qui élit le pape François.
> 2007-2013 : président de la Conférence des Évêques de France
> 8 décembre 2017 : cessation de ses fonctions d’archevêque
Interview réalisée par Gwenola Lobry pour le magazine Vocations N°200