Tout au long de la Bible, nous rencontrons des figures sacerdotales : Melkisédeq, Abraham, Moïse, Roi en Israël etc. Certaines vous sont déjà familières, d’autres sont peut-être totalement inconnues ! Chacune met en lumière un aspect de la vocation des prêtres. Tout au long de l’année sacerdotale, ce parcours sera complété : retrouvez toutes les figures dans le sommaire de l’article.
Jésus, prêtre de la nouvelle alliance
Si dans les Evangiles Jésus ne se déclare jamais prêtre, puisqu’il n’appartient pas à la tribu de Lévi, il exerce pourtant une authentique mission sacerdotale : non seulement il sert la Loi de Moïse qu’il commente et mène à son achèvement dans la Parole qu’il prêche, mais il accomplit un sacrifice. Il ne s’agit plus du sacrifice des animaux conduits sur l’autel devant le temple de Jérusalem, mais du sacrifice de sa propre vie. Alors que les prêtres offrent pour eux-mêmes et pour le peuple d’Israël des victimes qui sont extérieures à eux-mêmes, Jésus, à la manière du serviteur souffrant d’Is 53,10, « offre sa vie en sacrifice expiatoire » et peut déclarer à ses disciples : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mt 20,28).
Les lettres de saint Paul insistent sur la rédemption accomplie par le sang versé sur la croix (Ep 1,7 ; 2,13), où le Christ devient à la fois serviteur de Dieu pour sauver les hommes défigurés par le péché (Ph 2,6-11) et agneau pascal définitif (1 Co 5,7), comme nous le chantons le jour de la résurrection : « Notre pâque immolée, c’est le Christ ! »
La lettre aux Hébreux, qui commente les figures de Melkisédeq, d’Abraham ou d’Aaron, explique comment Jésus est grand prêtre « selon l’ordre de Melkisédeq » et porte à son achèvement et à son dépassement le sacerdoce ancien. Jésus est Dieu fait homme, appartenant à la fois au monde de Dieu et à celui des hommes : il établit ainsi un pont entre ces deux réalités si distinctes. Le prêtre doit être homme et justement c’est humainement que notre Seigneur participe avec compassion à la souffrance humaine, il l’assume et l’offre au Père dans un acte sacrificiel qui est le don de sa propre vie pour la rédemption de toute l’humanité : « Pendant les jours de sa vie mortelle, il a présenté, avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ; et, parce qu’il s’est soumis en tout, il a été exaucé. Bien qu’il soit le Fils, il a pourtant appris l’obéissance par les souffrances de sa Passion ; et, ainsi conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel » (Hé 5,7-9). Racheté de la mort à jamais dans la résurrection, Jésus, par sa supplication, rachète les hommes des affres de la mort dans la résurrection qui guérit toutes les souffrances humaines. Jésus est donc médiateur de la nouvelle alliance (Hé 8,6-13 et 10,11-18), scellée dans son sang versé pour la multitude en rémission des péchés (Hé 9,15-28).
A la suite du Christ, il est nécessaire que, dans l’Eglise, le prêtre s’offre en personne avec Jésus, qui a fait à son Père le don total et suprême de sa vie. Cet acte d’offrande, le prêtre a conscience de l’accomplir au plus haut point pendant la consécration eucharistique, comme le lui a enjoint son évêque le jour de son ordination, au moment où il lui a remis la patène et le calice : « Recevez l’offrande du peuple saint pour la présenter à Dieu. Prenez conscience de ce que vous ferez, vivez ce que vous accomplirez, et conformez-vous au mystère de la croix du Seigneur. » C’est ainsi que le ministère du prêtre de Jésus Christ permettra à toute l’Eglise d’exercer son sacerdoce commun, selon les propos de saint Paul en Rm 12,1 : « Je vous exhorte, mes frères, par la tendresse de Dieu, à lui offrir votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu : c’est là pour vous l’adoration véritable. » C’est aussi ce qu’explique en substance Hé 9,11-14.
Le sacerdoce à l’époque gréco-romaine
Après la conquête de Jérusalem par Alexandre le Grand se produit une grande crise à l’intérieur du peuple d’Israël. Au début du IIième siècle avant Jésus Christ, l’affrontement entre l’hellénisme et la foi juive grandit et atteint la légitimité du sacerdoce. Le grand prêtre Onias est destitué par Antiochus Epiphane IV et Jason, le propre frère d’Onias, usurpe la charge sacerdotale au prix d’une forte somme d’argent : il favorise alors l’hellénisation du pays (langue, éducation et pratique du sport) et il assujettit le sacerdoce au monde politique. C’est en ce temps-là aussi qu’un autel païen est érigé dans le temple de Jérusalem en l’honneur de Zeus Olympien, « l’abomination de la désolation ». Le temple sera heureusement purifié en décembre 164, grâce à l’intervention armée des frères Maccabées qui ouvrent la dynastie hasmonéenne.
Cependant, abusant de leurs nouvelles prérogatives, ils vont cumuler progressivement dans la même personne le pouvoir royal et le pouvoir sacerdotal, alors qu’ils ne sont descendants ni de David ni de Sadoq. Ils vont s’entourer d’une aristocratie sacerdotale, les Sadducéens, puisant son origine dans la lignée de Sadoq, mais trouvant désormais son aise dans les cercles du pouvoir. Des mouvements de protestation se lèvent alors : les Hassidéens ou pieux estiment que le prestige du sacerdoce est atteint par la soumission intolérable de la fonction de grand prêtre au pouvoir politique et par l’incompatibilité de la Loi avec les pratiques d’origine grecque ; les Esséniens quittent la capitale pour le désert, à Qumran, où ils vivent en communauté les exigences de la pureté sacerdotale, dans l’attente d’un messie sacerdotal et d’un messie davidique ; quant aux Pharisiens, ils se distinguent par une extrême fidélité à la Loi interprétée à la lumière de la tradition orale, mais ils ont tendance à élargir des observances, réservées normalement aux prêtres, à tous les laïcs constitués ainsi en communauté sacerdotale.
A l’époque romaine qui commence en 63 avant Jésus Christ avec l’arrivée du général Pompée, la fonction de grand prêtre devient un instrument politique, voire un jouet, entre les mains de l’administration romaine. Voici comment se présente la hiérarchie du clergé à l’époque de Jésus. Au sommet, se tient le grand prêtre perçu comme étant le premier personnage du pays ; non seulement il est l’interlocuteur auprès des Romains, mais il siège au tribunal juif, le Sanhédrin, et préside les grandes fêtes, notamment le Jour des expiations qui lui donne l’autorisation d’entrer dans le Saint des saints. Puis le commandant du temple a la charge de la police et assiste le grand prêtre dans les célébrations. Ensuite les chefs des 24 sections hebdomadaires et les chefs des sections quotidiennes sont environ 7200 prêtres : 50 servaient chaque jour et l’un d’entre eux était tiré au sort pour faire brûler l’encens le matin et le soir, comme le fit Zacharie, futur père de Jean Baptiste, d’après Lc 1,5-9. Au bas de l’échelle se trouvent les lévites, surtout surveillants et musiciens, qui ne peuvent pas s’approcher du temple, à l’instar des laïcs : ils sont 9600, répartis en 24 sections.
Les faiblesses de tout ce système clérical mettent Israël dans l’attente d’un sacerdoce plus crédible et plus proche des hommes. En donnant sa vie sur la croix, le Christ achève tous les sacrifices et devient le seul médiateur qui accomplit l’unique sacerdoce qui plaît au Père et auquel nous participons comme baptisés selon le sacerdoce commun ou, à un autre degré, comme prêtres selon le sacerdoce ministériel.
Le sacerdoce après l’exil
L’exil des fils d’Israël à Babylone au cours du VIème siècle modifie la façon de pratiquer la religion, puisqu’il n’est plus possible d’offrir des sacrifices au temple de Jérusalem détruit par les armées de Nabuchodonosor. La communauté juive se regroupe « au bord des fleuves de Babylone » (Ps 137, 1), sous l’autorité des prêtres. La foi monothéiste, en plein milieu païen, est complètement renouvelée, réaffirmée avec conviction et marquée par la pratique de la circoncision et la célébration du sabbat hebdomadaire.
Au retour d’exil, la seule institution qui subsiste est le sacerdoce, qui se reconstitue autour du « second temple » reconstruit dès la fin du VIème siècle. Si Zorobabel, descendant de David, devient simple gouverneur de la cité sainte, Josué, descendant de Sadoq, est présenté comme prêtre. Le chapitre 4 du livre de Zacharie les place sur le même plan en tant que « fils de l’huile », mais à la mort de Zorobabel Josué hérite de la charge de chef du sacerdoce et de quelques prérogatives royales, représentant la communauté juive devant Dieu et devant le pouvoir perse dont il dépend.
C’est pendant cette période qu’est élaborée la rédaction sacerdotale du Pentateuque qui fait remonter aux origines mosaïques l’érection du sanctuaire (Dieu communiquant le modèle du temple sous la forme de la tente de la rencontre qui accompagne les fils d’Israël dans leur exode) et la fondation du sacerdoce. Moïse, guide du peuple, consacre son frère Aaron et les quatre fils de son frère dans un état de sainteté qui les rend aptes à approcher le Seigneur dans le culte ; le sacerdoce devient une histoire de famille dont la lignée est stable.
Le rituel d’ »ordination » comporte un bain de purification, la vêture et l’onction (Ex 29, 4-7 ; Lv 8, 6-12). Parmi ses huit vêtements sertis d’or et de couleur violette, rouge et cramoisie, le grand prêtre porte notamment l’éphod contenant les noms des fils d’Israël, afin qu’il en fasse mémoire devant le Seigneur, ainsi que le diadème posé sur le turban. Trois sacrifices marquent l’investiture et la fête dure sept jours, à l’issue desquels le grand prêtre élève les mains vers le peuple et le bénit. C’est alors que le Seigneur manifeste sa gloire qui fait éclater la joie de la communauté rassemblée, constituée à ce moment-là peuple de Dieu. Au jour des expiations (yom kippour), le prêtre entre derrière le voile dans le Saint des saints, où il accomplit le rite de l’encens et asperge de sang le propitiatoire. Pendant son service cultuel, le prêtre ne doit pas boire de vin, parce qu’il doit garder sa lucidité pour enseigner le peuple et déclarer ce qui est sacré et pur et ce qui ne l’est pas !
Quant aux lévites, descendants du patriarche Lévi mais pas d’Aaron lui-même, ils constituent un clergé inférieur qui ne sert ni à l’autel ni derrière le voile. Ils sont liés aux chantres qui déclament les Psaumes et aux portiers du temple. Ils sont au service des prêtres et servent d’intermédiaire entre le sacerdoce et le peuple pour accéder à la communication avec Dieu. Le rituel de leur consécration, sans vêture ni onction, est moins solennel que celui des prêtres (Nb 8, 5-22) ; ils perçoivent toutefois la dîme (Nb 18, 20-24). Il est important de rappeler que la tribu de Lévi, qui n’a reçu aucun territoire lors du partage de la terre promise entre les douze tribus d’Israël, appartient à Dieu, en remplacement des premiers nés d’Israël consacrés en échange de la mort des premiers nés des Egyptiens lors de la sortie d’Egypte (Nb 3, 12-13). Leur service cultuel signifie la réponse de foi au salut de Dieu.
Roi en Israël
Le roi israélite est choisi par Dieu : Saül, puis David sont désignés par Samuel envoyé auprès d’eux par le Seigneur. Le roi est appelé fils de Dieu par adoption et serviteur privilégié. Comme il s’est imposé dans les combats de libération, comme ses prédécesseurs les juges, il est médiateur du salut accordé par Dieu à son peuple et doit assurer avant tout la justice et le droit. La dignité du roi est marquée par le rite de l’intronisation. L’onction d’huile, signe de santé et de vitalité, le place en dépendance de Dieu et lui transmet un pouvoir vivificateur acquis par la pénétration de l’esprit du Seigneur (1 S 16, 13). Le mot « messie » dérive d’ailleurs du mot hébreu mashiah qui signifie « oint » et qui est lui-même traduit par « christ » dans la langue grecque.
Le roi d’Israël remplit un rôle essentiel dans l’administration des temples et organise le culte. Alors que David aurait désiré élever un temple pour y placer l’arche d’alliance, le prophète Natan est envoyé pour lui annoncer que Dieu en personne lui construira une maison (c’est-à-dire une famille et une dynastie) qui subsistera à jamais (2 S 7). C’est donc son fils Salomon qui bâtit le temple de Jérusalem et préside la dédicace (1 R 6-8). Généralement le roi exerce son sacerdoce en offrant des sacrifices (1 S 13, 9-10), en bénissant le peuple (2 S 6, 18) et en prononçant des prières d’intercession (2 S 7, 18-29).
Le roi s’entoure également d’un clergé, entre autres pour consulter Dieu par des oracles. Le prêtre porte alors l’éphod, poche contenant les sorts sacrés, sortes de bâtonnets ou de dés appelé Urim et Tummim. Toutefois la fonction oraculaire tend à diminuer au profit d’une fonction enseignante. David choisit deux prêtres pour le service de Dieu : Ebyatar, descendant du prêtre Eli, et Sadoq, descendant d’Aaron et de la tribu de Lévi. Sadoq prend le parti de Salomon à la mort de David et le sacerdoce devient dynastique. Ce sont les descendants de Sadoq qui dirigent ensuite le sacerdoce au temple de Jérusalem jusqu’au IIème siècle avant Jésus-Christ. Les prêtres sont alors les délégués permanents du roi pour le culte. Dans le cadre d’un sacrifice, il faut distinguer l’oblation du sacrifice et l’abattage de la victime animale. L’offrant égorge l’animal, tandis que le prêtre fait brûler la victime sur l’autel ainsi que l’encens, gestes qui impliquent un contact direct avec le monde sacré. Par conséquent le prêtre est considéré comme un médiateur entre Dieu et l’homme.
Quant aux lévites, descendant de la tribu de Lévi au sens large, ils sont essentiellement préposés au service des sanctuaires provinciaux. En Ex 32, 26-29, les lévites sont présentés comme des êtres zélés pour Dieu, capables d’égorger plusieurs milliers de fils d’Israël qui viennent de s’adonner au culte du veau d’or, et ils sont aussitôt investis selon la formule consacrée : « Remplissez aujourd’hui vos mains pour le Seigneur » ; voilà les fils de Lévi élus pour leur attachement exclusif à Dieu. Malheureusement, par la suite, les sanctuaires provinciaux ne seront pas épargnés par le syncrétisme religieux : le paganisme cananéen avec les dieux Baal et Astarté n’est pas sans influence sur le culte exercé dans ces temples éloignés de Jérusalem, il est même parfois favorisé par des rois qui ont contracté des mariages avec une princesse païenne (Akhab et Jézabel en sont un exemple notoire dénoncé par le prophète Elie en 1 R 17-21). Le roi Josias, descendant davidique de la fin du VIIème siècle, organisera une grande réforme religieuse qui favorisera la suprématie du temple de Jérusalem comme lieu unique choisi par le Seigneur, au détriment des autres sanctuaires et de leurs lévites devenant de simples subalternes associés au temple principal.
Moïse
Issu de la descendance d’Abraham, de la tribu de Lévi, Moïse est appelé par Dieu, qui lui est apparu au milieu du buisson ardent, à une mission redoutable : faire sortir son peuple de la servitude en Egypte. Soutenu par les signes et les prodiges que le Seigneur lui fait réaliser, Moïse devient le guide d’Israël à qui il fait traverser la mer à pieds secs pour le conduire vers la montagne de Dieu et la terre promise ; il devient aussi le législateur qui transmet la Loi donnée par le Seigneur.
La marche dans le désert est un temps d’épreuves à cause de la faim, de la soif et de l’attaque des ennemis. Lors du combat contre les Amalécites, « lorsque Moïse tenait les mains levées, Israël l’emportait » et « Aaron et Hur lui soutenaient les mains, l’un d’un côté, l’autre de l’autre » (Ex 17, 8-16). Voilà comment la prière de Moïse obtient la victoire sur ses ennemis. Déjà au cours des dix plaies, Pharaon réclamait à plusieurs reprises l’intercession de Moïse et d’Aaron, comme par exemple lors du fléau des sauterelles : « J’ai péché contre le Seigneur votre Dieu et contre vous. Et maintenant pardonne-moi ma faute, je t’en prie, cette fois seulement, et priez le Seigneur votre Dieu qu’il détourne de moi ce fléau meurtrier » (Ex 10, 16-17). Moïse se place ainsi dans les pas de son ancêtre Abraham qui intercédait en faveur des villes maudites de Sodome et Gomorrhe (Gn 18, 17-33) et il se met comme lui dans une disposition sacerdotale entre Dieu et les hommes.
Après la fabrication du veau d’or, Moïse intervient de nouveau auprès de Dieu pour apaiser sa colère. Il rappelle au Seigneur qu’il a choisi Israël comme son peuple, qu’il doit rester fidèle à son amour passé et agir pour sa gloire à la face des nations étrangères (Ex 32, 11-14 et 33, 12-17). Ce pardon que Moïse demande à Dieu s’accompagne d’un rite d’expiation pour le péché (que saint Jérôme traduira tout simplement dans la Vulgate par prier ou intercéder). Bien plus Moïse préférerait disparaître lui-même que d’assister à la mort de ses frères : « S’il te plaît de pardonner leur péché ; sinon efface-moi, de grâce, du livre que tu as écrit ». Néanmoins l’expiation ne cherche pas tant à modifier l’attitude de Dieu qu’à inciter l’homme à accueillir le don de Dieu (Ex 32, 30-35).
Cette forme de prière annonce la supplication du juste comme celle du serviteur souffrant intercédant pour les pécheurs en Is 53 et le Psaume 99 (98), 6 la résume en cette formule : « Moïse et le prêtre Aaron, Samuel, le suppliant, tous ils suppliaient le Seigneur, et lui leur répondait ».
Moïse est dans l’Ancien Testament le priant par excellence qui préfigure le visage de Jésus grand-prêtre. Car le Christ encadré par deux larrons aura à son tour les bras levés sur une croix. Dans sa passion, de Gethsémani à la croix, sa prière sera encore plus dramatique que celle de Moïse, puisqu’il portera pleinement et enlèvera le péché du monde : « Père, pardonne-leur ; ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). D’après la lettre aux Hébreux, la mort de Jésus représente son intercession la plus élevée (He 5, 7) et désormais entré au ciel, Jésus accomplit le rôle essentiel de son sacerdoce comme une intercession : « Il est capable de sauver de façon définitive ceux qui par lui s’avancent vers Dieu, étant toujours vivant pour intercéder en leur faveur » (He 7, 25 ; cf. aussi 9, 24).
Abraham
Quand nous avons évoqué le personnage de Melkisédeq, il était inévitable de l’associer à Abraham qui lui apportait la dîme comme marque de reconnaissance pour le roi et prêtre du Dieu Très Haut en provenance de Shalem. Or le patriarche Abraham, père d’une multitude humaine, cumule à son tour en sa personne les attributs du roi et du prêtre.
Au chapitre 12 de la Genèse, l’appel de Dieu à Abraham est prononcé en ces termes : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père pour le pays que je t’indiquerai. Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom ; sois une bénédiction ! Je bénirai ceux qui te béniront, je réprouverai ceux qui te maudiront. Par toi se béniront tous les clans de la terre ». Le patriarche est à la fois l’objet de la bénédiction divine et le médiateur de cette bénédiction en faveur des autres peuples : il reçoit la promesse d’entrer dans une terre et de procréer. Si la bénédiction est inconditionnelle pour Abraham, elle dépend pour les autres de leur attitude à l’égard de celui-ci ; d’un seul, elle s’adresse à tous, à l’universel. Il acquiert ainsi une position à la fois royale et sacerdotale.
Parti de Haran au nord de la Mésopotamie, Abraham atteint la terre de Canaan où il passe d’un lieu saint à un autre : Sichem, au Chêne de Moré ; la région de Béthel ; et après une escale en Egypte, Hébron, aux Chênes de Mambré. A Sichem le patriarche reçoit la vision de Dieu, grâce qui est habituellement accordée aux prophètes, mais à chacune des étapes, il construit un autel et se met même à invoquer le nom du Seigneur, fonctions attribuées plutôt aux prêtres.
Cette dimension cultuelle conduit Abraham à devenir l’homme de l’alliance. En Gn 15, l’alliance est scellée par un sacrifice qui exprime la relation entre Dieu et Abraham. Conclure une alliance se dit en hébreu « couper une alliance », et c’est bien ce que signifient les animaux partagés en deux au travers desquels passe le feu. Cette offrande présentée par Abraham devra toutefois être corrigée, puisqu’il lui faudra offrir son fils Isaac (Gn 22) et d’une certaine manière s’offrir lui-même pour devenir ainsi le lieu du culte véritable (cf. Rm 12, 1-2).
En Gn 17, l’alliance ne se présente plus sous la forme d’un sacrifice, mais du don d’une loi, celle de la circoncision, signe tracé dans la chair qui fait entrer dans la descendance d’Abraham et l’appartenance à Dieu. Là aussi c’est un acte d’offrande de son corps et donc de toute sa personne au Seigneur Dieu.
La première prière eucharistique, après la consécration du pain et du vin, résume très bien le rôle sacerdotal du patriarche qui réalise son offrande, entouré d’Abel et de Melkisédeq, et qui annonce le sacrifice du Christ : « Et comme il t’a plu d’accueillir les présents d’Abel le juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t’offrit Melkisédeq, ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour et, dans ta bienveillance, accepte-la ».
Melkisédeq
Dans le Proche Orient ancien, c’est souvent le roi qui exerce la fonction sacerdotale en présidant aux sacrifices et aux fêtes.
Le livre de la Genèse présente un personnage mystérieux, Melkisédeq, qui apparaît dans le contexte d’une guerre au cours de laquelle Abraham intervient comme chef militaire et sauve son neveu Loth. Voici comment survient cet homme : « Melkisédeq, roi de Shalem, apporta du pain et du vin ; il était prêtre du Très-Haut. Il prononça cette bénédiction : Béni soit Abram par le Dieu Très-Haut qui créa le ciel et la terre, et béni soit le Dieu Très-Haut qui a livré tes ennemis entre tes mains. Et Abram lui donna la dîme de tout » (Gn 14, 18-20). Le nom de Melkisédeq signifie « mon roi est juste », c’est un païen, il est Cananéen et règne à Shalem, ville de la paix, qu’il convient d’assimiler à la future Jérusalem.
D’une part, Melkisédeq présente le pain et le vin, offrande rituelle dans tout l’Orient antique ; c’est la nourriture caractéristique des hommes capables de la fabriquer, alors que la viande et les fruits sont des produits communs à l’homme et à l’animal.
D’autre part, il accorde à Abraham la bénédiction de son dieu El Elyon, le Dieu Très-Haut ; la bénédiction traduit une puissance en acte et une capacité de donner la vie, Abraham étant appelé à donner un jour la vie selon la promesse faite par le Seigneur. Dieu aussi se trouve béni, puisqu’il a été puissant et efficace en faveur d’Abraham qui se met à payer la dîme, signe du croyant qui se soumet au prêtre. Grâce au roi de Shalem, le dieu païen rejoint le Dieu biblique : Dieu de la création du ciel et de la terre et Dieu de l’histoire où l’ennemi est renversé.
Cet épisode trouve un écho dans la lettre aux Hébreux, au chapitre 7, où Melkisédeq préfigure l’unique sacerdoce du Christ, comme l’évoque déjà le Psaume 110, 4 : « Le Seigneur l’a juré dans un serment irrévocable : Tu es prêtre à jamais selon l’ordre du roi Melkisédeq ». Pour l’auteur de la lettre aux Hébreux, comme Melkisédeq, Jésus n’a pas d’origine familiale sacerdotale – ce qui pourtant est essentiel dans le judaïsme – et il n’a pas de limite dans le temps. Il est un prêtre qui participe à l’éternité divine et est également Fils de Dieu.
En Melkisédeq, nous rencontrons donc un personnage survenu mystérieusement, doté à la fois du pouvoir royal et du pouvoir sacerdotal, annonçant à la perfection Jésus Christ grand prêtre de la nouvelle alliance.
Père Yvan Maréchal, prêtre du diocèse de Paris