Pour beaucoup, le mot liberté n’est pas le premier qui vient à l’esprit lorsqu’on pense à la vie au séminaire. Mais il est difficile d’appréhender celle-ci de l’extérieur. La place de la liberté telle que la ressent chaque séminariste relève du for interne et du secret des cœurs. Aussi proposerai-je plutôt d’interroger la question même qui est posée. De quelle liberté parle-t-on ? Quelle est celle à laquelle l’entrée au séminaire conduit à renoncer ?
Celle que les années de formation permettent de découvrir et de recevoir ?
Et au service de quelle liberté future ?
Une libération cachée
On entre au séminaire de son plein gré, en réponse à un appel reçu, pour avancer dans la profondeur de la vocation chrétienne et se convertir de manière plus radicale. Au fil des années de formation, le Seigneur nous transforme, élargit notre cœur, approfondit notre vie de prière, fait croître notre amour de l’Église. Pour cela, il nous fait traverser l’obscurité et nous donne de vivre des étapes de purification de l’âme, des « nuits » selon le vocabulaire du Carmel. La nuit active du sens consiste à quitter tel élément de notre vie antérieure, en ce qui me concerne une activité professionnelle et une vie d’adulte responsable établi dans un certain confort matériel. La nuit passive du sens est donnée par ce qu’on doit vivre et faire sans l’avoir choisi. Ainsi, au séminaire, les conditions matérielles, le rythme de vie et la composition des repas se reçoivent tels qu’ils sont.
La nuit active de l’esprit revient à renoncer à ce qui valorise notre ego, par exemple la connaissance ou le brio. La nuit passive de l’esprit est reçue lorsque des échecs personnels mettent en défaut nos qualités et nos points forts, qui ne portent plus de fruits. Pendant les années de formation, nous apprenons que l’ascèse volontaire et les épreuves subies constituent deux puissants leviers de sanctification. Elles nous dégagent de nous-même et nous permettent de nous abandonner à la volonté de Dieu.
La liberté du renoncement à soi
Au séminaire, je me suis toujours appuyé sur les quatre avis donnés par saint Jean de la Croix à un jeune religieux, surtout dans les moments de fatigue et de tension suscités par une vie communautaire très intense.
- Pour garder la paix de son âme, ne chercher ni en parole ni en pensée à noter ce qui est bien ou mal dans la vie de la communauté ou de chacun en particulier : résignation.
- Pour progresser dans l’humilité, souffrir avec patience les tracas, supporter les offenses en silence, se laisser travailler et polir par ses frères comme une pierre : mortification.
- Pour être établi dans l’obéissance, tout accomplir avec le seul but de servir Dieu : exercice des vertus.
- Tout regarder comme fini, sauf l’amour et la gloire de Dieu ; ne pas tenir compte de ce qui leur est extérieur : solitude.
Libéré par la Vérité en personne
La formation au séminaire prépare à se laisser configurer au Christ Pasteur dans le sacrement de l’ordre. Elle vise donc à nous rendre libres en vue du ministère presbytéral. Un prêtre libre adhère à l’enseignement de l’Église et enseigne la foi de celle-ci, en dehors des interprétations personnelles, des biais idéologiques et des travestissements tactiques.
C’est pourquoi la liberté acquise au séminaire repose sur la fréquentation assidue de la Parole de Dieu, la connaissance de la Révélation, l’approfondissement théologique de la foi. Un prêtre libre parvient à comprendre la situation et les besoins de chaque fidèle et à lui transmettre, avec la grâce de Dieu, ce dont il a besoin.
Les années de formation permettent au séminariste d’affiner ses capacités d’écoute et sa perception spirituelle des réalités pastorales, à travers de premières expériences d’apostolat. Pour ma part, c’est dans une aumônerie en France, puis à Rome auprès des enfants et des jeunes scouts d’une communauté italienne que j’ai pu témoigner et enseigner le contenu de la foi. Un prêtre libre connaît et aime le monde, mais il identifie ce qui, dans l’esprit du monde, est contraire à l’Évangile, pour en préserver ceux qui lui sont confiés. La liberté découverte au séminaire repose sur une mise à l’écart temporaire du monde avant d’y être envoyé. Elle permet d’y agir avec une juste distance, de façon à la fois proche et détachée, c’est-à-dire à la juste place du disciple : dans le monde, mais pas du monde (cf. Jn 17, 14-18).
Un prêtre libre aime Dieu et son prochain pour eux-mêmes et non pour soi. C’est pourquoi l’équilibre affectif et la charité pastorale tiennent une place si importante dans la liberté qui se construit au séminaire. Celle-ci prépare à la grâce du célibat sacerdotal, par lequel l’Église offre aux fidèles des prêtres entièrement donnés à tous, à l’image du Christ Pasteur.
Père Marc Leroi – Extrait du magazine Vocations n°207