Entrer dans le temps de Dieu, est la première étape de l’adoration et de l’évangélisation. Nous avons tous du temps en surabondance. Le temps ne nous manque jamais. Mais il arrive que ce temps que Dieu nous a donné pour apprendre à aimer et à vivre à son rythme devienne une course poursuite où nous oublions que le temps nous libère. Quel est donc le temps de Dieu, et pourquoi serait-il différent du temps des hommes ?
Adoration et Evangélisation des profondeurs. Que fait Dieu pendant ce temps d’adoration ? Nous faisons l’expérience de deux mouvements qui sont dans la même synergie de l’évangélisation. Le premier mouvement consiste à découvrir combien dans ce temps d’adoration, Dieu évangélise la profondeur de notre être. Le temps d’adoration est le premier temps de l’évangélisation, de notre propre évangélisation. Dieu vient évangéliser la profondeur de notre être.
La miséricorde. Mais finalement, la question que vous pourriez vous poser est de savoir de quoi l’homme d’aujourd’hui a le plus besoin. En répondant à cette question, nous répondons à la question de l’évangélisation. (…)
1. Entrer dans le temps de Dieu
Se tenir devant le Saint Sacrement, regarder celui qui nous aime, regarder le Christ, est la première attitude de celui qui accepte d’entrer dans le temps de Dieu pour adorer, pour laisser Dieu donner réalité à notre vie et à chaque instant qui passe. J’oserai même dire, regarder le Christ qui se donne à nous pour que notre chair puisse prendre chair de la sienne. Car c’est bien cela le désir qui anime celui qui prend le temps d’entrer dans le temps de Dieu en adorant, c’est de ne faire plus qu’un avec celui qui nous aime et qui se donne à nous.
Entrer dans le temps de Dieu , est la première étape de l’adoration et de l’évangélisation. Nous avons tous du temps en surabondance. Le temps ne nous manque jamais. Mais il arrive que ce temps que Dieu nous a donné pour apprendre à aimer et à vivre à son rythme devienne une course poursuite où nous oublions que le temps nous libère. Quel est donc le temps de Dieu, et pourquoi serait-il différent du temps des hommes ?
Qui agit dans notre vie et dans le monde ? Est-ce nous qui allons tout changer ou bien est-ce Dieu, révélé en Jésus-Christ qui entrant dans le temps des hommes a fait entrer l’humanité dans le temps de Dieu ?
Dieu est le premier agissant, et c’est en lui que notre action trouve son sens et sa réalité. Il peut arriver que nous voulions tout faire, que nous soyons pris d’une sorte d’activisme, voir même d’une culpabilité de ne pas réussir à tout faire, alors que c’est Dieu qui agit. Il faut laisser Dieu agir et pour laisser Dieu agir, il faut comprendre que le temps est éternel quand le temps est amoureux.
Ce qui est réel et agissant dans la vie, ce qui porte du fruit, c’est l’amour qui se donne et non pas l’action qui parfois devient sans amour et qui ne prend plus sa source en Dieu, mais dans l’angoisse de ne pas pouvoir changer le cours de l’histoire du monde par soi-même. Ce qui est solide, ce qui est éternel, ce qui donne naissance au Royaume, c’est le temps de Dieu, c’est le temps de l’amour qui se donne. C’est ce temps qui appartient à Dieu.
L’adoration eucharistique, c’est donner du temps, pour que ce temps soit l’œuvre de Dieu , et que par lui Dieu puisse agir en nous et pour le monde. C’est contempler chaque instant de sa vie et de la vie du monde, en sachant que ce qui est empreint d’amour est empreint d’éternité. Ce qui est sans amour, n’est que passage et sans avenir et risque donc d’être qu’illusion. L’action ne prend son sens que dans l’amour qu’elle porte. Par exemple, pour sainte Thérèse de Lisieux, chaque action est emplie de l’amour de Dieu et c’est de cette manière que chaque action, et particulièrement l’adoration, est emplie de l’amour de Dieu. Nous ne prenons pas le temps d’adorer parce que nous voudrions nous prouver à Dieu et à nous-mêmes que nous en sommes capables. Nous prenons le temps d’adorer parce que nous sommes dans cet élan d’amour et le temps donné dans cet amour est éternel.
2- Adoration et Evangélisation des profondeurs
Que fait Dieu pendant ce temps d’adoration ? Nous faisons l’expérience de deux mouvements qui sont dans la même synergie de l’évangélisation. Le premier mouvement consiste à découvrir combien dans ce temps d’adoration, Dieu évangélise la profondeur de notre être. Le temps d’adoration est le premier temps de l’évangélisation, de notre propre évangélisation. Dieu vient évangéliser la profondeur de notre être. Il vient se saisir de notre être. Ce serait une illusion que de penser qu’il n’y a pas en nous un combat intérieur, des luttes entre ces deux amours : celui qui se donne et celui qui prend pour lui, qui se fait illusion en pensant que l’amour lui est dû, que le bonheur lui est dû, que l’autre lui est dû, alors que le bonheur ne se trouve qu’en se donnant, que l’amour ne se trouve qu’en se donnant, que la liberté ne se trouve qu’en se donnant.
La première expérience de l’évangélisation durant l’adoration, c’est l’expérience d’un Dieu Père, empli d’amour, qui descend au plus profond de notre être. Durant ce temps, il ne faut pas avoir peur de ce qui peut jaillir en nous, de tel passage de notre vie qui peut ressortir. Parfois on repense à telle ou telle scène, tel ou tel événement, parfois avec des relents d’amertume, parfois de violence ou de haine, parfois de désespérance, parfois avec des instants de désillusion. Toute notre vie apparaît au grand jour sous ce regard de Dieu que vous adorez et qui vous aime. Parce qu’il vous aime, il vous donne à voir ce qui est empli d’amour et ce qui est sans amour. Il vous donne à voir ce combat intérieur des moments d’allégresse et des moments de désespoir. Il vous donne à voir chaque instant de votre vie comme étant le lieu même où Dieu vient vous recréer…
Dans cette descente de Dieu en nous, dans cette évangélisation de notre être pour n’être plus qu’un avec lui, il faut, comme une nécessité de l’amour, que nous soyons libérés de tout ce qui en nous est sans amour, de ce qui n’a pas été marqué par la joie . Et nous ne pouvons en être libérés que si l’amour nous le donne à voir. Dans cette action de l’évangélisation par Dieu de nous-mêmes, il y a cette action de Dieu que seul Dieu a le droit de faire, car seul Dieu est Amour à la perfection, de cet amour qui peut donner à voir le non-amour. Seul celui qui aime à la perfection, seul celui qui est l’Amour parfait qui se donne, l’amour gratuit, a le droit de laisser apparaître dans nos cœurs, dans notre conscience ce qui est sans amour. Car seul celui qui aime sait pardonner, sait recréer. Donc, la première action de l’évangélisation de nous-mêmes dans l’adoration, c’est ce double mouvement entre ce qui ressort de violence, de tensions, de séparation, et ce qui ressort pour que nous puissions le rendre à Dieu, et que Dieu en retour puisse nous recréer. L’expérience de l’évangélisation intérieure, dans le temps de l’adoration est un temps de recréation : Dieu vient reconstruire notre humanité, ce que nous sommes.
Une vie ne se subit pas, elle se construit . Nous sommes responsables de sa construction, car Dieu nous donne, dans la manière dont il nous évangélise, nous reconstruit, et nous donne à voir notre histoire, non pas d’en devenir esclave, mais d’en être libérés pour reconstruire notre vie d’une façon nouvelle, pour redémarrer, pour pouvoir renaître de l’eau et de l’Esprit Saint, et du renouvellement de cette nouvelle naissance qu’est le sacrement de la réconciliation et de la pénitence. C’est cela la première expérience de l’évangélisation des profondeurs de notre être par le temps d’adoration. Etre devant l’expérience de l’amour qui se donne pour accepter d’être recréé. En d’autres termes, c’est l’adoration et la réparation. Mais je l’emploie dans le sens de l’adoration et l’évangélisation des profondeurs. Ce qui ressort de votre être, de votre esprit devant cette expérience de recréation, ce n’est rien d’autre qu’un élan d’amour.
Le don des larmes . “Ce n’est pas pleurer comme une madeleine”. Il est très spécifique. Il est cette expérience de recréation par l’amour. C’est ce mouvement du cœur qui laisse jaillir cette expérience de douceur et de recréation qui donne alors la douceur de se laisser aimer dans la vérité de l’amour et de ne faire qu’un avec l’amour de Dieu. C’est extraordinaire ! C’est là que vous touchez du fond du cœur ce qu’est l’expérience de l’adoration et de l’évangélisation intérieure, comment vous êtes évangélisés par l’adoration qui vous donne l’expérience d’être recréés, non pas dans une expérience narcissique, du fait de s’arrêter et de laisser ressortir devant Dieu tous les mouvements de notre cœur. On penserait alors que cela est bien. Non, ce n’est pas à nous de faire, c’est à Dieu de faire ! Ne nous trompons pas entre l’activisme et l’action de Dieu ! Nous ne sommes pas la source, c’est Dieu qui est la source de cette action au plus profond de nous-mêmes. Ce n’est pas nous qui nous guérissons nous-mêmes, c’est Dieu qui guérit. Il faut accepter d’être guéri par un autre, par celui qui nous aime dans un amour qui se donne. C’est le premier mouvement.
Le deuxième mouvement, c’est la sortie de soi-même , car on ne peut vivre en vérité cette expérience de l’évangélisation intérieure, que si dans le même mouvement nous sommes projetés à l’extérieur de nous-mêmes pour être donnés, pour être livrés. Car cette évangélisation au cœur de l’adoration nous projette en dehors de nous-mêmes, selon les derniers mots de l’évangile de saint Matthieu : « allez dans le monde entier, annoncez la Bonne Nouvelle… et moi je suis votre Dieu avec vous, l’Emmanuel, jusqu’à la fin des temps » (Mt 28, 20).
La foi qui ne s’annonce pas au prochain est une foi qui meurt . Car une foi qui ne se donne pas est un amour qui se garde, et qui se conserve pour soi. C’est un amour que nous gardons prisonnier. Pourquoi avoir peur de dire à l’autre qu’il est aimé, qu’il est pardonné ? Pourquoi avoir peur de la tendresse de Dieu pour l’autre ? Pourquoi avoir peur de se donner ? En tout cas, Jésus-Christ n’a pas eu peur de se donner, puisqu’il continue sans cesse à être exposé à notre regard d’adoration. Donné, livré aux mains des hommes, ne cessant jamais d’être donné à chacun de nous à chaque Eucharistie, il est livré à notre cœur, à notre volonté. Sa parole, lancée au gré des vents et du souffle de l’Esprit Saint, rejoint tout homme. Il y a ceux qui entendent, qui comprennent ; il y a ceux qui n’entendent pas, qui ne comprennent pas. Cette parole est livrée, donnée. La règle de l’amour, c’est d’être livré, donné. La règle de l’amour, c’est de savoir ce que je peux faire pour que l’autre ait la vie. La règle de l’amour, c’est accepter d’aimer l’autre aux dépens de soi-même.
Le premier acte d’évangélisation est l’acte de charité . La charité n’est pas n’importe quel amour. Je l’emploie dans son sens spécifique. L’amour en français est un terme ambigu. En grec, il y a trois mots, en latin deux mots, en français un mot. Mais cela veut dire qu’en employant le mot charité, je parle d’un amour spécifique, d’un amour qui évangélise, qui va pouvoir dire qui est Dieu. C’est l’amour manifesté par le Christ qui a donné toute sa vie pour nous, jusqu’à mourir sur la croix pour que nous ayons la vie. Le prix de notre vie, c’est bien ce que nous regardons à chaque Eucharistie, à chaque temps d’adoration, c’est ce mystère qui va jusqu’à la croix. On ne peut pas adorer et évangéliser sans qu’il y ait au cœur de ce diptyque, le triptyque qui est la croix plantée au centre. Entre adoration et évangélisation, il y a la croix du Christ et la croix est plantée dans nos vies.
Qu’est-ce que la croix du Christ pour nous ? Comment regardons-nous le jeudi Saint, puisque nous sommes à chaque adoration devant le mystère du jeudi saint et que nous vivons d’une façon particulière avec toute l’Eglise, l’adoration eucharistique, lorsque nous accompagnons le Christ au reposoir ? Comment ce temps inscrit au cœur du mystère de la Croix se donne jusqu’au bout ? Ce que nous gardons pour nous, nous conduit à la mort ; ce que nous donnons pour l’autre, nous conduit à la vie et à la liberté. Il faut oser, pour évangéliser, livrer le chemin de l’amour, livrer la Parole de vie, livrer le regard qui relève. Il faut oser aller vers l’autre, oser prononcer la parole ou le geste qui va donner à l’autre de trouver son chemin. Parfois il faudra accepter d’aimer en silence pendant des années avant qu’une parole puisse être prononcée. Mais lorsque Dieu aura ouvert les portes de la foi, il faudra parler et ce sera un devoir de parler pour dire cette Parole, la Parole de Dieu qui sauve et relève. C’est donc comprendre la croix comme étant le signe du prix et la valeur de l’autre pour nous. Car la croix du Christ nous dit que chaque personne humaine a la valeur du Fils unique du Père, a la valeur du lien unique entre le Père et son Fils. Chaque personne, quelle que soit sa situation, a la valeur et la dignité de ce lien d’amour entre le Père et le Fils unique. Et ce lien d’amour, cette valeur de chaque être humain, c’est la valeur de la croix, c’est le signe de l’amour qui est le signe de la dignité et de la valeur unique de chaque personne humaine, dans le dessein bienveillant du Père.
Évangéliser, c’est donner cette valeur . Ce regard que nous avons pour le Saint-Sacrement que nous contemplons dans l’adoration, nous apprend à avoir le même regard pour notre frère, notre sœur, pour celui qui est humilié, qui est en fin de vie, qui est en train de naître, qui va naître, celui qui est en chemin, qui est marginal, qui est en prison, celui qui ne sait plus qu’il a la valeur de cet amour unique. Mais ce regard là s’apprend dans l’adoration, parce qu’il s’apprend en acceptant de reconnaître notre propre dignité et notre propre valeur en celui qui se donne à nous.
Comment cette valeur est-elle attendue par les hommes et les femmes de notre temps ? L’adoration eucharistique nous donne d’abord de comprendre la réponse de Dieu à l’attente de l’homme. Nous découvrons dans l’Evangile que la loi de l’amour veut que notre cœur soit comblé. C’est ce que nous désirons le plus. Lorsqu’Adam se réveille et qu’il voit Eve, le livre de la Genèse laisse entendre le cri de l’homme comblé. L‘être humain est fait et créé pour avoir un cœur comblé, et non pas un cœur souffrant du manque.
Dans le récit de la tentation, le Christ n’a pas mangé depuis quarante jours. Il défaille de faim. Le diable lui dit : veux tu changer ces pierres en pain ? La question est la suivante : veux tu faire un miracle pour toi-même ou t’en remettre à l’amour de l’Autre, parce que tu sais que ton Père t’aime et qu’il pourvoira à ton besoin ? Que fais-tu ? Est-ce que tu agis pour toi-même ou est-ce que tu t’en remets à l’autre ? Comment vas-tu combler ton cœur ? En te précipitant sur tout ce qui semblera te combler, ou en te remettant à l’autre ? Le cœur comblé est un don et non un dû. Si devant les manques, les désirs de notre cœur, nous cherchons comme un dû à avoir un cœur comblé, nous risquons de partir dans les illusions. Bien des illusions de notre monde ne sont que l’expression de ce cœur qui n’est pas comblé et que l’homme cherche à combler parce qu’il ne connaît pas Dieu, qu’il ne connaît pas l’amour, ou qu’il n’ose plus croire en l’amour parce que son amour a été trahi ou qu’il a trahi l’amour.
L’homme cherche alors à avoir un cœur comblé dans l’illusion et dans l’esclavage du plaisir ; on sait qu’un plaisir ouvre un désir plus grand et que finalement, il est un esclavage qui est comme une chaîne sans fin. Il le cherche aussi parfois dans des fuites de l’addiction, de l’alcool, de la drogue ou dans tel ou tel comportement. Mais ces comportements sont l’expression d’un manque, d’une attente de Dieu d’être comblé, d’une attente de Dieu qui vient. Quand nous contemplons le Christ dans l’adoration, nous savons alors qu’il vient pour combler cette attente de l’homme, pour guérir l’homme, pour que le cœur de l’homme soit comblé. Donc nous n’avons pas à juger l’autre. Nous devons, à travers les souffrances de l’autre qui sont marquées par des chemins de traverse, y voir l’expression de l’attente de Dieu. Nous avons à comprendre que l’évangélisation consiste à apporter à l’autre le chemin par lequel son cœur pourra être comblé, trouvant ainsi sa véritable liberté.
Lorsque Jésus a multiplié les pains, la foule est là. Elle a eu le ventre rassasié. Alors les gens ont cherché à avoir encore le ventre rassasié. Ils n’ont pas compris “qui” est ce pain qui vient du ciel. Ils n’ont pas compris que Dieu est la nourriture de la vie éternelle, que Dieu est cette nourriture qui vient combler les cœurs.
L’Eucharistie est la nourriture de Dieu qui vient nourrir l’homme en tant qu’homme. Car la dimension de l’homme se découvre dans la personne du Christ. Quand nous adorons le Seigneur, nous comprenons ce que signifie être homme ou femme aujourd’hui, dans notre temps. Nous comprenons quel est notre chemin, quel est le sens de la vie de l’homme, la plénitude de notre humanité. Elle est dans le chemin du Christ. En Christ nous découvrons que l’homme dépasse l’homme dans le dessein de Dieu. Nous comprenons la grandeur de Dieu, et en Le contemplant, nous comprenons la grandeur de l’homme dans le dessein bienveillant du Père. C’est alors que nous découvrons que nous sommes faits pour être divinisés, que nous sommes faits pour la Résurrection et pour la Vie.
Evangéliser c’est donc oser demander à Dieu la grâce de comprendre le cœur de l’autre , c’est-à-dire de comprendre derrière les masques de la vie, derrière les murailles que l’autre dresse et que nous dressons parfois en nous-mêmes, quel est le chemin de l’attente de son cœur pour lui faire percevoir comment Dieu vient le combler, combien Dieu vient lui donner une plénitude de vie, de liberté et de bonheur. Comprendre le cœur du Christ, c’est laisser le Christ nous donner à comprendre et à lire le cœur de l’homme d’aujourd’hui. Seul celui qui connaît et qui lit le cœur du Christ peut comprendre aussi le cœur de l’homme dans son attente de Dieu. L’évangélisation, c’est comprendre le cœur de l’homme à la manière du cœur du Christ.
Les questions les plus cruciales nous sont posées dans l’adoration. Pourquoi le Christ est-il mort ? Pourquoi l’amour qui se donne est plus grand que l’amour qui prend ? Pourquoi servir est plus grand que le pouvoir, pourquoi pardonner est meilleur que la vengeance ? Pourquoi telle chose est bien et telle chose est mal ? L’évangélisation de l’autre, c’est être renvoyé par l’autre à ces questions les plus cruciales de notre propre vie, aux réponses que nous nous sommes données. C’est au Christ et à vous à travailler ensemble pour répondre à ces questions. Pourquoi est-il si important de pardonner ? Trouver les réponses vous donnera le discernement pour votre vie et le désir de comprendre, aider, et permettre à l’autre de trouver un chemin de liberté et de bonheur. Il faut dans notre prière se poser ces questions. Pour construire sa vie devant le Christ, en adoration, il faut avoir peu à peu trouvé les réponses, en regardant l’Evangile, le Christ dans l’évangile. C’est lui qui va nous donner de percevoir le meilleur chemin. Il faut accepter de se laisser conduire par Dieu.
L’évangélisation, c’est finalement entrer dans un chemin d’alliance . On ne doit pas évangéliser en voulant prendre le pouvoir sur l’autre, convaincre l’autre. Dieu n’a jamais essayé de briser la liberté de quelqu’un. Evangéliser est-ce trouver des stratagèmes extraordinaires pour convaincre l’autre ? L’évangélisation dans ce rapport à la liberté et à la charité n’est-elle pas quelque chose d’essentiel ? L’évangélisation n’est-elle pas simplement mettre le Christ devant nous, faire alliance avec le Christ ? Est-ce l’alliance de deux libertés, et/ou la domination d’un vainqueur sur un vaincu ?
Combien de fois enlisant l’évangile, vous regardez le Christ et vous êtes émerveillés de ses sentiments pour les autres, de sa disponibilité pour chacun. Il est entouré d’une foule, il va de Jéricho à Jérusalem et il entend Bartimée. Il est disponible au cri de la veuve sur le chemin, il entend ce que la foule n’entend pas. Et lorsque l’homme veut mettre une distance entre lui et celui qu’il veut appeler, il brise cette distance. Rappelez-vous saint Pierre qui dit : « éloigne toi de moi, je suis un homme pécheur ». Jésus répond : « Viens, suis-moi et ce sont des hommes que tu prendras ». A chaque fois que l’obstacle vient et que l’homme met l’obstacle entre Dieu et lui, le Christ vient vaincre l’obstacle. Et l’évangélisation, c’est accepter que le Christ vienne vaincre l’obstacle, en libérant la personne, en libérant la liberté de l’autre, pour lui donner de pouvoir choisir l’amour.
3- La miséricorde
Mais finalement, la question que vous pourriez vous poser est de savoir de quoi l’homme d’aujourd’hui a le plus besoin. En répondant à cette question, nous répondons à la question de l’évangélisation. Voilà ce qu’il faut que nous sachions annoncer et dire. J’ai parlé d’entrer dans le temps de Dieu, c’est-à-dire dans le temps de l’amour. Et nous avons tous ce temps, il est même la priorité de notre époque.
Il me semble que la question de la miséricorde est peut-être la question la plus importante. « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance » (Jn 10, 10). C’est une question centrale pour notre époque. La question la plus courante que posent les jeunes qui demandent le sacrement de la confirmation, entre 13 et 20 ans, est celle-ci : Nos parents, l’Eglise, la société disent que telle chose est bien ou mal. Mais comment reconnaître ce qui est bien et ce qui est mal devant toutes les contradictions…Comment donc tracer notre chemin ? C’est une question angoissante pour les jeunes de notre temps. On ne peut pas leur dire : « L’expérience va te le montrer ». Car on n’a pas le droit de laisser quelqu’un se blesser faute de lui avoir expliqué le bien. Nous serions alors responsables de sa blessure. La société en donne par ses propos bien assez dans l’histoire de chacun. Notre silence ne peut entrainer davantage de blessures…
La question est plus profonde . Qu’est ce qui nous permet de dire que “le bien est bien” et que “le mal est mal”, sans faire entrer l’autre dans une culpabilisation ? Pourquoi la société ou telle personne dit que telle chose qui est bien est mal, et que telle chose qui est mal est bien ? On ne peut pas supporter ce mal. Saint Paul disait : « Je ne fais pas le bien que je voudrais faire et je fais le mal que je ne voudrais pas faire » (Rom 7, 15). En d’autres mots, si en croyant faire le bien, on fait le mal, et inversement, on perd sa liberté et sa joie, on devient coupable… Il y a donc derrière cette question posée par la société, à la fois celle de l’évangélisation et celle de l’adoration. Il me semble que la seule réponse à donner est celle de la miséricorde . Le saint n’est pas celui qui ne fait pas de péché. Le saint est celui qui remet ses péchés à Dieu en voulant vivre de la dignité même de l’amour de Dieu. Et donc croire que l’on sera sans péché demain, c’est être dans l’illusion sur soi-même. Croire qu’on va pouvoir remettre ses péchés à Dieu aujourd’hui, c’est être dans la joie aujourd’hui et demain.
Il y a donc au cœur même de cette tension entre le bien qu’on veut faire et le mal qu’on ne veut pas faire, l’expérience de la miséricorde. Lorsque vous lisez les journaux, vous voyez bien qu’on peut un jour porter quelqu’un aux nues et le lendemain le descendre en flèche. Nous vivons dans une structure de bouc émissaire. Notre société ne pardonne plus, ne prend plus le pardon comme une vraie valeur. Une société qui ne sait plus pardonner est une société qui va à la violence les uns avec les autres et qui se referme sur chacun de ses membres.
L’évangélisation demande que nous osions agir par amour, que ce soit l’amour qui révèle le bien du mal, et que cet amour soit toujours lié au pardon. L’homme a besoin de savoir qu’il ne peut être réduit aux actes qu’il a commis. Nous ne nous définissons jamais par ce dont nous avons été victimes ou coupables. Ce n’est pas cela qui va définir notre identité, ce n’est pas cela la vérité de notre être. La vérité est ce que nous sommes sous le regard de Dieu qui pardonne, qui aime, qui recrée et qui reconstruit chacun d’entre nous, à chaque instant de notre vie, et qui nous donne de pouvoir sans cesse repartir d’une façon nouvelle. C’est cela la Bonne Nouvelle pour l’homme de notre temps. C’est qu’il est aimé et pardonné. C’est que la miséricorde peut entraîner l’homme sur un chemin de vie. Seuls la miséricorde et le pardon peuvent donner à l’homme de pouvoir dire le bien et de pouvoir dire le mal, sans être prisonnier du mal, mais en étant libéré du mal par ce pardon qui recrée et qui reconstruit notre humanité.
Dans le temps d’adoration, nous sommes devant la gratuité de l’amour. Alors l’évangélisation, c’est entrer dans la gratuité de l’amour, la vraie gratuité. Nous sommes dans un monde où tout se paye, tout s’échange. On croit que parce qu’on a rendu service à quelqu’un, il va nous rendre service en retour. Eh bien non ! Dans l’Eglise, nous sommes dans la gratuité de l’amour. Nous n’aimons pas quelqu’un parce qu’il est aimable, mais parce que Dieu l’aime, et parce que c’est cette gratuité de l’amour qui est la vérité de la vie et la vérité de notre être. Dieu ne fait exception de personne. Nous ne choisissons pas ceux que nous aimons, car ceux que nous aimons sont ceux qui nous sont donnés comme nos frères. Dieu nous donne de nous faire le prochain de chacun des hommes de notre temps.
L’adoration, c’est alors voir cette multitude des hommes et des femmes de notre temps, de notre monde, alors mêmes, que nous avons la chance de vivre pour les premières années de l’histoire du monde à l’échelle de la planète, de l’univers, de la terre entière. Rien de ce qui se passe à l’autre bout du monde ne nous est étranger si nous voulons le savoir. Ainsi en ayant devant nous cette évangélisation du monde en ayant conscience d’être une planète, nous avons devant nous l’enjeu fondamental de la fraternisation, de faire un seul corps avec toute l’humanité, le corps du Christ, le corps du Royaume de Dieu et non la tour de Babel. Nous avons donc devant nous un enjeu étonnant pour la nouvelle évangélisation qui n’est pas simplement un peuple qui va évangéliser un autre peuple, mais qui est une multitude de peuples, de nations et de cultures qui vont s’évangéliser les uns les autres, vont donner à chacun d’entre nous de renoncer à une certaine part de notre propre culture pour être plus vrais dans notre relation au Christ. Car il ne s’agit pas simplement de vouloir « inculturer » le Christ en nous. Il s’agit que nous devenions le Christ en donnant à chaque culture le pouvoir de renoncer à une part d’elle-même pour que notre relation soit vraie et que le Christ soit libéré de l’empreinte culturelle qui parfois en donne une image faussée ou détournée.
Lorsque nous contemplons le corps du Christ dans l’Eucharistie, dans l’Eglise, dans son unité dans le monde entier, dans l’humanité toute entière rassemblée dans le Christ, rassemblée dans l’hostie consacrée, alors nous contemplons la Jérusalem céleste qui est déjà advenue alors même qu’elle doit encore se construire et se recevoir.
Il y a donc dans la relation entre adoration et évangélisation cette vision de ce qu’est en réalité l’Eglise corps du Christ, de ce qu’est en réalité l’humanité entière rassemblée dans chaque hostie consacrée qui ne devient plus qu’un avec le Christ, signe de notre vie éternelle, signe de la résurrection des morts, signe de la parousie, signe du rassemblement de toute l’humanité et de toute la création en Dieu lui-même.
Et c’est cela qui est justement ce lien étroit entre évangélisation et adoration. C’est ce mystère de l’Eglise qui est déjà aujourd’hui ce rassemblement de l’humanité en un seul corps. Mais ce qu’est l’Eglise comme rassemblement, comme corps du Christ dans toutes les nations du monde, c’est le signe prophétique de ce que sera l’humanité entière dans la parousie. Ce signe prophétique que porte l’Eglise comme identité et comme visibilité au cœur même du monde aujourd’hui nous est donné à voir dans l’Eucharistie que nous adorons : à la fois corps du Christ qui se donne, mais aussi Christ qui se donne, qui rassemble en lui et dans cette hostie l’humanité entière. Dans l’Eucharistie, l’humanité est rassemblée et donne à voir de façon prophétique ce qu’elle sera en réalité dans la Jérusalem céleste, ce qu’elle sera en réalité dans le dessein bienveillant du Père, dans l’unité même de Dieu, ce que nous serons en vérité éternellement. C’est cette vision de l’éternité, du temps de Dieu dans le dessein de Dieu, c’est-à-dire de la charité et de l’union de toute l’humanité, de la récapitulation de toutes choses en Jésus-Christ, du rassemblement de toutes choses en Jésus-Christ, qui nous sont donnés ainsi à voir et à contempler.
Contempler ce signe prophétique, c’est pouvoir l’annoncer aux autres comme une Bonne Nouvelle et annoncer à un monde divisé que l’union, l’unité avec Dieu est plus forte que tout, que ce monde va de l’amour à l’amour et que cette finalité du monde dans l’amour nous est déjà donnée à voir dans l’Eucharistie.
Mgr Jérôme Beau, ancien évêque auxiliaire de Paris et ancien directeur de l‘Œuvre des Vocations – Conférence donnée à Paray-le-Monial le 19 juillet 2007.