Frère Jean-Alexandre de Garidel, Carme

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Oraison et internet, frère et prêtre 2.0, un carme à la page

Jean-Alexandre de Garidel, nous reçoit dans le couvent des carmes d’Avon, près de Fontainebleau, où il est depuis 2017 maître des postulants et des novices. Il nous montre un chemin de présence à la Présence à l’heure d’internet.

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Quand avez-vous entendu l’appel du Christ ?

J’ai découvert la foi vers 16 ans, dans un chemin assez solitaire. Par la suite j’ai pris des engagements ecclésiaux qui m’ont beaucoup marqué, comme la responsabilité d’une route pour le pèlerinage de Chartres. C’est l’aumônier de mon école de commerce qui m’a le premier invité à me poser la question du sacerdoce. Parti une année à Rome en Erasmus pour me retrouver libre, en dehors de mon milieu social et familial, j’y ai perçu l’appel à consacrer ma vie à Dieu, mais sans savoir sous quelle forme. Deux choses m’apparaissaient importantes : la prière et la vie fraternelle. J’ai ensuite travaillé pendant deux ans dans un cabinet de conseil, tout en discernant et en commençant à faire oraison à l’école de Thérèse d’Avila.

Comment s’est fait le choix du carmel ?

J’étais venu à Avon par hasard. C’est en y faisant une retraite et en lisant la vie de Jean de la Croix que j’ai été profondément touché. J’ai perçu quelque chose en moi d’un désir qui rejoignait ce qu’il avait vécu. Après il a fallu croire que c’était possible, parce que je trouvais ça magnifique mais complètement fou !

Ce qui a été décisif ça n’a pas été les murs, ni les frères, mais une recherche de Dieu marquée par l’oraison et quelque chose du sens de Dieu, d’un absolu de l’amour qu’on trouve chez nos saints, Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Thérèse de Lisieux. Il y avait un axe qui correspondait à ce que je cherchais : une vie profondément contemplative avec une dimension de transmission, importante dès le début. Nous ne sommes pas des moines au sens strict car nous avons un rôle d’apostolat et ne sommes pas fixés à un couvent.

Quel a été ensuite votre parcours ?

Il m’a fallu deux ans de discernement pour lâcher prise, m’abandonner comme un fils devant Dieu. Ensuite une année de postulat, pendant laquelle on expérimente la vie en communauté, sans en faire vraiment partie, dans une liberté mutuelle. Si on est accepté au noviciat, on fait alors l’expérience d’une année de désert un peu monastique, en grand retrait de la famille et des amis, pour voir si on est capable de fonder sa vie spirituelle sur le Christ seul, de gérer la solitude comme un espace de croissance, pas angoissant. Au terme du noviciat viennent la profession temporaire, qui dure au moins trois ans, où on commence les études, puis la profession solennelle, et l’engagement définitif.

Qu’est-ce que la spiritualité carmélitaine peut apporter dans notre monde aujourd’hui ?

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Au centre spirituel d’Avon viennent des chrétiens mais aussi des personnes agnostiques. Ils peuvent avoir fait l’expérience de la méditation de pleine conscience et cherchent quelque chose de plus proche de leur tradition que de la sagesse orientale, qui revient en force. J’ai la conviction que le carmel a vraiment là une mission !

Ces personnes perçoivent le besoin d’une intériorité, mais ne savent pas comment s’y prendre. Le cœur de la spiritualité carmélitaine est une spiritualité de la présence. Elle rejoint la quête actuelle de méditation, de retour au corps. Mais elle va plus loin : elle est présence à soi – car il faut déjà rejoindre son intériorité – mais aussi présence à Dieu qui demeure au centre de nous-mêmes. C’est simple, ça n’est pas réservé aux religieux, ça ne change rien extérieurement, mais il y a un espace intérieur qui fait qu’on habite tout autrement.

Surtout, le carmel permet de vivre cette expérience intérieure, mais aussi d’en avoir l’intelligence. Les écrits de nos saints donnent énormément de clefs pour vérifier que nous ne sommes pas seulement dans l’affectif et le sensible. Jean de la Croix et Thérèse d’Avila sont à la fois deux géants de la mystique et deux docteurs de l’Eglise. La tentation est grande pour les plus jeunes. Ils « sentent » Dieu ou pas. On peut les aider à entrer dans une expérience plus longue de la présence de Dieu. C’est crucial aujourd’hui où beaucoup cherchent Dieu sans avoir les outils intellectuels et conceptuels pour nommer les choses, se confronter à l’objectivité de la tradition de l’Eglise et des saints. Le risque sinon est de m’inventer mon dieu, qui me ressemble.

Le couvent d’Avon fêtera en 2020 le centenaire de la présence des carmes

Avon est un lieu très vivant. Ici vivent dix frères, deux novices et quatre postulants – c’est une année riche pour les vocations – et le centre spirituel accueille jusqu’à cent retraitants. En 2020, nous inaugurerons le musée du Père Jacques de Jésus, qui retracera sa vie jusqu’à son apostolat dans le camp de Mauthausen. Louis Malle, qui a réalisé le film Au revoir les enfants, était élève à Avon à cette époque. Nous souhaitons que ce musée soit un lieu aconfessionnel où chacun puisse découvrir ce prêtre résistant, « juste parmi les nations », qui parlait aux communistes, aux déportés, qui avait le souci d’aller vers ceux qui ne croient en rien pour les aider, les consoler.
C’est aussi ici que le bienheureux P. Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus a fait son noviciat avant de fonder Notre-Dame de Vie.
Comme maître des novices, je le prie beaucoup. Ce sont deux belles figures d’Avon, qui en font pour moi un lieu très inspirant !

Comment vivez-vous votre rôle de maître des novices et des postulants ?

C’est une très belle mission mais aussi très exigeante ! A la fois en ce qu’elle prépare l’avenir de la communauté, et parce qu’il s’agit d’accompagner de jeunes hommes dans des moments délicats de leur vie, où on travaille à partir de leur histoire personnelle.

Dans l’accompagnement spirituel, on touche des choses très profondes. Pour être à sa juste place, il faut être soi-même bien équilibré, très enraciné, donc également bien accompagné. Je suis très proche d’eux, je vis à leur étage, nous nous promenons ensemble le dimanche, je suis leur enseignant, leur accompagnateur spirituel, celui qui leur donne leurs occupations, leur apostolat etc. Au fond, je me sens un peu comme le père d’une famille nombreuse !

Je ne suis pas seul, j’ai un adjoint et d’autres frères interviennent : c’est toute la communauté qui forme, avec la grâce de l’Esprit Saint. Cette mission s’inscrit dans une continuité, puisque j’ai toujours eu des activités liées aux jeunes, notamment étudiants ou professionnels, comme les groupes Va’Carme et les Incarmés !

Quelles sont vos réflexions sur le numérique ?

Au départ je ne suis pas un geek ! Mais rapidement j’ai été responsable du site du carmel en France. Je suis encore référent sur la communication. De par ma formation commerciale, je suis sensible à ce qui est lié au marketing et à la transmission. On est en train de vivre une révolution, pas seulement technique mais bien un changement de culture. J’ai essayé de penser ces questions. On revient ici au sujet de la présence, puisqu’à travers le numérique on voit bien que toute la question est de capter l’attention des gens ! Il faut voir le positif avec Skype en famille ou les retraites spirituelles en ligne. C’est plus de 50 000 personnes qui suivent nos retraites dont 23 000 dans sept langues étrangères. Leur pédagogie spirituelle est globale et incarnée, à l’école d’un saint. Actuellement, je prépare celle de carême, avec Jean de la Croix.

Chaque année j’organise un week-end ici sur les enjeux humains et théologiques, pour nous interroger sur nos pratiques, prendre conscience qu’internet n’est pas neutre. Il change un certain nombre de choses dans nos relations, la façon d’être à notre corps et même notre manière de penser.

L’enjeu est grand pour les jeunes, n’est-ce pas ?

Je le vis comme formateur, car les jeunes qui arrivent ici sont profondément marqués par cette culture. Lâcher le smartphone à l’entrée du postulat est une épreuve qui fait vivre une expérience de libération, avant de retrouver un accès intelligent et raisonnable. Ça touche le rapport au temps, au corps, à la mémoire. Les jeunes générations vivent dans un temps marqué par l’instantané. Avec le smartphone je touche mon écran et « cela est ». Il y a quelque chose de l’acte créateur. L’illusion est de croire que la vie tout court, ou la vie spirituelle, est au service de nos désirs.

Beaucoup vont d’expérience en expérience, d’où un problème identitaire : ils « font » des expériences, mais ne savent pas les relier et raconter leur histoire de vie. Comment faire alors un choix, mariage ou vie consacrée ? La distance avec l’écran permet d’entrer dans une intériorité qui va faire resurgir de la mémoire plein de choses du passé.

L’Église est-elle assez présente et attractive sur internet ?

La créativité apostolique s’y est déjà beaucoup développée. Des jeunes ont créé des start-ups comme Hosanna ou GoMesse. Le diocèse de Paris y est très attentif parce qu’on y trouve beaucoup de participants. Il faut comprendre que l’espace numérique n’est pas virtuel, c’est un espace dans lequel il y a du réel : les gens vivent vraiment quelque chose, même si c’est partiel. Il faut les y accompagner et continuer à développer la créativité pastorale, parce qu’on n’en fera jamais assez : c’est désormais une réalité fondamentale où tout va très vite. Il n’est pas question de suivre les modes, mais il y a des enjeux pastoraux énormes. Nos postulants sont tous de la fin de la génération Y. Ils ont suivi des retraites en ligne et nous contactent par le biais de sites sur les vocations, même s’ils ont eu un contact avec le carmel autrement.

Interview réalisée par Gwenola Lobry pour le magazine Vocations N°206

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