L’appel de Dieu n’est pas la prescription de prendre tel chemin plutôt que tel autre
Voici deux textes que je souhaite vous lire en introduction.
« Ici, chers fidèles de Paris et de la région parisienne, mais aussi vous tous qui êtes venus de la France entière et d’autres pays limitrophes, permettez-moi de lancer un appel confiant en la foi et en la générosité des jeunes qui se posent la question de la vocation religieuse ou sacerdotale : n’ayez pas peur ! N’ayez pas peur de donner votre vie au Christ ! Rien ne remplacera jamais le ministère des prêtres au cœur de l’Église ! Rien ne remplacera jamais une messe pour le salut du monde ! Chers jeunes ou moins jeunes qui m’écoutez, ne laissez pas l’appel du Christ sans réponse. Saint Jean Chrysostome, dans son Traité sur le Sacerdoce, a montré combien la réponse de l’homme pouvait être lente à venir. Cependant, il est l’exemple vivant de l’action de Dieu au cœur d’une liberté humaine qui se laisse façonner par sa grâce » (de l’homélie du Pape Benoît XVI sur l’esplanade des Invalides, le 13 septembre 2008)
Le 2ème texte est moins proche et moins familier. J’ai souvent l’occasion de le citer, mais rarement en situation. Je suis tout heureux aujourd’hui de pouvoir le faire à bon escient.
« Dans ce pays, quantité de gens ne sont pas chrétiens, uniquement parce qu’il n’y a personne aujourd’hui pour en faire des chrétiens. J’ai très souvent eu l’idée de parcourir toutes les universités d’Europe et d’abord celle de Paris, pour hurler partout d’une manière folle et pousser ceux qui ont plus de doctrine que de charité, en leur disant : « Hélas ! Quel nombre énorme d’âmes exclues du ciel par votre faute ! ». De même qu’ils se consacrent aux belles lettres, s’ils pouvaient seulement se consacrer aussi à cet apostolat afin de pouvoir rendre compte à Dieu de leur doctrine et des talents qui leur ont été confiés ! Beaucoup d’entre eux, bouleversés par cette pensée, aidés par la méditation des choses divines, s’entraîneraient à écouter ce que le Seigneur dit en eux, et en rejetant leurs ambitions et leurs affaires humaines, ils se soumettraient tout entiers, définitivement, à la volonté et au décret de Dieu. Oui, ils crieraient du fond du cœur : « Seigneur, me voici, que veux-tu que je fasse ? Envoie-moi n’importe où, comme tu voudras, même jusque dans les Indes. » » (d’une lettre de St François-Xavier à St Ignace de Loyola, alors qu’il était lui-même missionnaire en Asie, et précisément en Inde)
Ces deux textes situent bien clairement les questions auxquelles nous sommes confrontés : celle de la liberté et celle des talents.
Un appel gratuit qui s’adresse à la liberté
St Jean Chrysostome a montré combien la réponse de l’homme à l’appel du Christ pouvait être lente à venir. Cependant, il est l’exemple vivant de l’action de Dieu au cœur d’une liberté humaine qui se laisse façonner par sa grâce.
Il n’y a pas de service de l’Évangile, il n’y a pas de service du Christ, il n’y a pas de vocation, qu’elle soit sacerdotale, religieuse ou laïque, il n’y a pas de projet de vie, s’il n’y a pas de liberté, car c’est seulement dans le dialogue de la liberté du cœur avec le Christ que se construit une relation forte, à travers laquelle chacun de nous découvre jour après jour ce vers quoi Dieu l’appelle.
Quand je dis « vers quoi », je ne peux pas préciser plus. Je ne sais pas vers quoi Dieu vous appelle. Peut-être même vous appelle-t-il encore à plusieurs choses. Il est normal à votre âge d’être devant plusieurs possibilités.
L’appel de Dieu n’est pas la prescription de prendre tel chemin plutôt que tel autre, c’est un appel gratuit qui s’adresse à la liberté de l’amour. Vous connaissez tous Jn 21, où Jésus ressuscité apparaît aux disciples au bord du lac. Le récit se poursuit par le cheminement de Pierre avec le Christ : « Pierre, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » « Seigneur, tu sais bien, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime ». « Pais mes agneaux ». Dans ce dialogue : « M’aimes-tu plus que ceux-ci ? – Oui je t’aime, tu le sais », nous découvrons comment la vocation, la mission que Jésus va confier à Pierre, n’a pas d’autre fondement que cet amour de préférence, cet amour plus fort, qui va façonner la liberté de Pierre. « Quand tu étais jeune tu allais où tu voulais », donc tu avais plusieurs chemins devant toi et il fallait choisir. « Quand tu seras vieux, un autre te mettra ta ceinture et te conduira ».
Au moment où nous sommes encore devant plusieurs possibilités, notre liberté s’engage progressivement pour une seule de ces possibilités. Ce moment peut être long comme nous dit saint Jean Chrysostome, il peut durer plusieurs années. C’est le temps du discernement, de la réflexion, du dialogue intérieur avec le Christ. C’est dans ce moment que se constitue la vocation. La vocation à quoi ? Cela dépend de chacun, de l’appel que chacun reçoit.
Passer de la possession au partage des talents
Autre réflexion, qui vient de la lettre de St François-Xavier à St Ignace : « Bouleversés par cette pensée, aidés par la méditation des choses divines, ils s’entraîneraient à écouter ce que le Seigneur dit en eux et, en rejetant leurs ambitions et leurs affaires humaines, ils se soumettraient tout entiers à la volonté et au décret de Dieu… « Seigneur, me voici que veux-tu que je fasse ? »…. De même qu’ils se consacrent aux belles lettres, s’ils pouvaient seulement se consacrer aussi à cet apostolat afin de pouvoir rendre compte à Dieu de leur doctrine et des talents qui leur sont confiés. »
Les talents qui nous sont confiés, ce sont des qualités personnelles, tout à fait uniques, reçues par chacun d’entre nous, autres que celles dues à un capital génétique et culturel. Chacun de nous est fait de ce qu’il a reçu, par le don biologique de la vie, par le don culturel de l’éducation ou comme capacités personnelles. Cela fait un certain nombre de qualités. Mais les talents, ce ne sont pas seulement des qualités au sens où on dit d’un artiste qu’il a du talent. Les talents, dans l’Évangile, ce sont d’abord des biens, au sens premier : de l’argent. Ce sont des trésors, des richesses que nous avons reçues : richesses humaines, études que l’on a pu faire, culture que nous partageons, expériences que nous vivons. Ces richesses sont faites pour être mises au service des autres. Le passage de la possession des talents au partage des talents montre comment la générosité de Dieu transforme notre cœur, de façon que nous ne passions pas notre temps à déguster seul nos talents dans notre coin, mais que nous apprenions à les faire servir pour le bien de tous. Ce passage est aussi le moment où nous découvrons ce que Dieu nous demande de faire.
Je voulais vous confier autre chose, à titre de témoignage personnel que vous pourrez vérifier auprès des prêtres que vous connaissez. Cela va faire bientôt 40 ans que je suis prêtre (1969), et durant ces années, par la grâce de Dieu, je n’ai pas eu de malheurs extraordinaires, ni de maladies graves, ni de sombres périodes de dépression. J’ai eu une vie ordinaire. Mais pendant ces 40 années de ministère sacerdotal, pas une fois, à travers les différentes fonctions qui m’ont été confiées, je n’ai pensé : « Qu’est-ce que j’aurais pu faire de bien pour le monde si je n’avais pas été là où je suis ! ». Pas une fois je ne me suis dit que, en m’engageant dans cette voie et en répondant à l’appel de Dieu, j’avais privé les hommes de quelque chose. Quand j’étais jeune, pour nous stimuler un peu, on nous faisait rencontrer des vieux comme moi, et ils étaient chargés de nous faire comprendre que notre générosité devait nous conduire à abandonner quelque chose de très beau et de très important pour en faire l’offrande au Christ dans l’amour de notre cœur. En réfléchissant, il me semble que ce n’était pas une très bonne piste, car elle est illusoire. Je ne suis pas sur terre pour rêver ce que j’aurais pu faire, si j’avais fait ce que je n’ai pas fait. Je suis sur terre pour assumer ce que je suis et vivre ce que je suis. Je n’ai jamais eu le sentiment de porter un fardeau insupportable. Je n’ai jamais été écrasé par le sentiment que l’avenir du monde reposait sur mes épaules et je n’ai pas connu, par grâce, la crise intérieure d’une confiance trompée.
Cardinal André Vingt-Trois, Archevêque émérite de Par. s Extrait d’une intervention sur la vocation, qui a été longuement ovationnée, lors de la fête du Séminaire de Paris le 6 Décembre 2008