Le prêtre au blouson de cuir, Guy Gilbert, ne portait pas de gants de motard. D’ailleurs, il ne prend jamais de gants pour nous dire ce qui le touche. Mieux encore que Michel-Ange ou que Dürer, il présente le prêtre et son ministère en nous donnant à contempler ses mains.
On a besoin de tes mains…
L’évêque m’attendait à l’entrée de la salle de conférence. D’instinct je lui ai embrassé la main. Il la retira vivement : « Tu dates, Guy, ça ne se fait plus. »
« Père, je veux te dire par là combien l’évêque qui m’a oint les mains, il y a vingt-neuf ans, m’a rendu plus heureux que je n’aurais pu jamais l’imaginer. »
Pouvoir phénoménal de tes mains sacerdotales. L’espace des deux phrases de la consécration et tes mains portent le Christ vivant que tu vas offrir à d’autres mains. Aujourd’hui elles ont été consacrées pour le service sublime de l’amour. Maintenant ta puissance n’aura d’égale que ton humilité.
Pauvre de toi, d’avoir été choisi. Par quel mystère fabuleux, tu as entendu un jour cet appel pressant, impérieux, qui t’a amené dans la cathédrale où tu viens de dire enfin : « O.K. je bascule tout à ton service. Je me donne à toi pour le service de l’humanité. »
Regarde tes mains, contemple-les. Et n’oublie pas que l’évêque t’a consacré les mains… pas la tête !
Il faut, bien sûr, quelques grosses têtes dans l’Église. Mais surtout des ouvriers. On en manque de plus en plus aujourd’hui.
On a besoin de tes mains qui vont frapper aux portes les plus fermées. Elles sèmeront la compassion,
le pardon, partout. Dans la rue, les avions, le train, les bourgs sordides, les chaumières les plus luxueuses,
les églises.
… Tes mains feront passer le mystère d’amour
Si tes mains sont intellectuelles, bourrées de règles, imbues de leur seul pouvoir, elles sont celles des pharisiens qui ne représentent qu’une caste vomie par le Christ. Si tes mains se baladent de lits d’hôpitaux en parloirs de prisons, de l’usine où tu bosses à la paroisse où les plus petits sont accueillis en priorité, elles seront celles du Christ fonçant vers le pécheur, courant derrière la prostituée, éperdues de compassion pour les Zachée et d’autres mécréants.
Si on t’appelle Père (et qui sait, peut-être, un jour Monseigneur), contemple tes mains. Accepte la paternité spirituelle, mais refuse toute vénération vis-à-vis de ta personne. Elle offenserait Dieu et rendrait tes mains captatrices.
Garde-les pures, sans taches, ouvertes, aimantes.
Dans le conflit actuel « pour ou contre les femmes prêtres », j’ai aimé une des réponses du Pape : « Ce n’est pas le ministère d’une personne qui compte aux yeux de Dieu, mais sa sainteté. » Bien vu Jean-Paul II !
Tes mains, mêmes sales, impures, pécheresses, feront passer le mystère d’amour, malgré tout. Mais, saintes, elles donneront à ton ministère une puissance inégalable.
A la sortie d’une église, au Portugal, des anciennes m’ont saisi les mains, les ont ouvertes et embrassées. Ému, je n’ai pu le leur rendre qu’en baisant leurs vieilles paluches paysannes.
Chrétien(ne), embrasse de temps à autre la main ouverte de ton prêtre. Et dis-lui pourquoi. Tu vas sacrément réchauffer son sacerdoce !
Père Guy Gilbert, Chronique parue dans La Croix, 25 juin 1994