Retraite de carême de Mgr Emmanuel Tois
Ces paroles de l’Apôtre Paul, magnifiquement mises en musique par le frère André Gouzes, o. p., sont extraites de la liturgie de la messe de ce jour, le mercredi des Cendres. Elles mettent les mots justes sur ce que nous sommes invités à vivre au long du Carême, de ce Carême qui s’ouvre aujourd’hui : « nous laisser réconcilier avec Dieu », c’est-à-dire « ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui ». Quelle est la grâce que nous avons reçue de lui ? C’est la grâce de notre baptême, le grand jour où nous avons été plongés dans la mort du Christ pour ressusciter avec lui.
Le Carême, mes amis, est un chemin. Et quand on emprunte un chemin, le plus souvent on sait où il nous mène. Ne perdons pas de vue que le Carême est le chemin qui nous conduit à Pâques, à la grande fête de la Résurrection de Jésus, promesse de notre propre résurrection. Ressusciter, qu’est-ce que cela veut dire ? Ne glissons pas trop sur les mots, sous prétexte qu’ils nous sont familiers. N’oublions pas que même Pierre, Jacques et Jean ne savaient pas, avant l’événement, ce que voulait dire « ressusciter d’entre les morts ». Ressusciter, nous l’avons appris de Jésus, cela veut dire être libérés, être bénéficiaires de la promesse accomplie par un Messie libérateur du mal, de la souffrance et de la mort. Le Carême est donc un chemin vers la libération. Et pour le vivre, il est important que nous soyons capables de faire le point en vérité sur ce qui, en nous, dans notre vie personnelle, est présence du mal, de la souffrance et de la mort. Il s’agit de prendre conscience du mal que nous faisons, du mal que nous subissons lesquels, tous deux, nous tueraient si nous n’étions sauvés par la Résurrection du Christ.
Ce chemin, l’Eglise nous propose de le baliser à l’aide des trois conseils de Jésus : aumône, prière et jeûne. Aussi importantes que ces trois attitudes de Carême, sur lesquelles je vais revenir dans un instant, la posture que Jésus nous demande de prendre est fondamentale : « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer ». Pour bien des gens cela est difficile. Qui peut prétendre en effet ne jamais avoir besoin de reconnaissance ? Avec le prophète Joël, Dieu nous dit pourtant : « Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements ». Nous pouvons l’entendre ainsi : souvenez-vous que c’est du dedans du cœur de l’homme que sortent les mauvaises choses, déchirez vos cœurs pour en expurger tout ce qui vous centre sur vous-même, toutes ces envies de brillez qui vous empêchent de vous donner. Déchirez vos cœurs et partagez, priez, et jeûnez.
J’ai envie de commencer par la prière. Car rien n’est possible sans elle. Or souvent en Carême, on s’ajoute tellement de choses qu’on ne trouve plus le temps de prier vraiment. A moins qu’on ne cherche à justifier sa flemme de prier par la multiplication des bonnes actions qu’on s’est promis d’accomplir. Je ne dis pas cela par perfidie mais parce que je sais pour l’avoir expérimenté moi-même que parfois, la prière est si difficile, qu’en Carême on la « compense » en quelque sorte, par l’intensification de la charité. Et c’est souvent pour cela que les résolutions de Carême ne tiennent pas, que tout ce que nous avons prévu devient un fardeau et que nous arrivons aux Rameaux en nous disant : « j’ai encore raté mon Carême » !
Sur la prière, écoutons donc Jésus : « retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ». Cette pièce la plus retirée, c’est notre cœur, l’intime, le secret de nos vies. C’est là, dans l’humilité, dans la vérité de ce qu’est exactement notre vie vie que Dieu connaît et qu’il accueille, aussi bancale qu’elle soit, qu’il nous faut vivre avec Dieu des temps de rencontre gratuits. Lui parler, mais aussi l’écouter, dans le silence, un silence qui ne soit pas seulement une absence de bruit extérieurs, mais une paix et un calme intérieurs, recherchés sans relâche. Le moment et la durée de ce temps de prière gratuit varieront selon les vies des uns et des autres, bien sûr, mais voulez-vous qu’ensemble, chaque jour de ce Carême, nous nous retrouvions pour vivre un instant humble et gratuit avec Jésus, instant qui consistera à nous présenter devant lui là où nous en sommes ?
Le jeûne. Il y en a, des gens qui se demandent à quoi cela sert, le jeûne ! Il y en a beaucoup aussi qui disent avec franchise leur incapacité à le vivre. Je ne parle pas bien sûr des personnes pour lesquelles le jeûne n’est pas recommandé, en raison d’un état de faiblesse ou de la maladie. On sait aussi que l’âge avançant, un jeûne excessif peut être dangereux. Mais quand cela est possible il est bon d’expérimenter à quel point le jeûne nous fortifie dans le combat spirituel, au point de nous conduire au seul jeûne qui vaille pour lui-même et qui est le jeûne du péché. Le jeûne, au fond est un moyen mis en œuvre au service d’un autre jeûne qui lui est une fin : le jeûne du péché.
Bien compris, le jeûne ne s’entend pas que du jeûne de la nourriture, mais s’entend, comme le rappelait le pape François dans un message de Carême d’il y a quelques années, de tout progrès vers davantage de sobriété.
C’est cette plus grande sobriété qui nous conduira à vivre le partage, l’aumône. Non pas par un calcul savant qui consisterait à chiffrer ce que renoncements et sobriété nous ont conduit à économiser, pour convertir cet économie en don envers telle ou telle œuvre. Non. La sobriété qui sied au temps du Carême détourne l’attention de soi-même, rend plus attentif aux autres, notamment aux plus petits, rend plus attentifs aussi à la Terre que l’homme continue à détruire.
Voilà mes amis. La liturgie du mercredi des Cendres nous aide à discerner, dans notre vie personnelle, les lieux sur lesquels le Seigneur veut nous réconcilier avec Lui et à mettre en place, en quelque sorte, les balises de notre chemin de Carême.
A partir de vendredi, par des messages plus brefs ponctués de chorals de Carême de l’Orgelbüchlein de Jean-Sébastien Bach, je m’appuierai sur la prière de l’Eglise, oraisons, préface, liturgie de la Parole, liturgie des Heures, pour dérouler avec vous la route de Pâques.